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Papa Wemba, pionnier du mariage entre le rap et la rumba

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L’un des derniers monstres sacrés de la rumba, toujours à l’avant-garde du genre, fut l’un des premiers à inviter des rappeurs sur ses morceaux. Une contribution d’Olivier Mukiandi.

Depuis quelques temps, de Paris à Bruxelles en passant par la Suisse, impossible d’échapper au raz de marée des sonorités musicales congolaises dans le rap game francophone. De Damso à Niska en passant par Gims, Dadju ou Ninho, les têtes d’affiches de la scène urbaine francophone ont pour beaucoup la particularité d’être originaire des deux rives du fleuve Congo. Pourtant, ce phénomène n’est pas récent. À la fin des années 90, Passi et le Bisso Na Bisso avaient déja frappé un très grand coup !

L’origine du phénomène n’est pas à rechercher en Europe mais plutôt du côté de Kinshasa. Car il semblerait que le mariage entre rumba et rap – devenu aujourd’hui si fréquent dans le rap francophone, soit d’abord le fait du « créateur d’idoles », et « roi de la sape » Papa Wemba. Et s’il n’était pas le seul (on se souvient du « Rap-sap » de Zao dès 1993), il fut à n’en pas douter l’un des pionniers – tendance poids lourd – de ce phénomène dont il planta les graines il y a 25 ans déjà. Rien d’étonnant pour celui qui a toujours su se renouveler, et qui rappelait d’un air amusé que le rap existait déjà dans les traditions de son Kasaï natal.

De Molokai à Paris : Papa Wemba s’exporte 

Dans l’édition du numéro 1284-1285 d’août 1985, le magazine Jeune Afrique publiait dans ses colonnes un article dont voici un extrait : « Des sociologues l’affirment : Papa Wemba est le plus grand phénomène musical que la société zaïroise ait jamais produit. À trente-cinq ans, il n’est pas seulement le leader d’une nouvelle génération de chanteurs : il est aussi l’idole de millions de jeunes. » L’aura qui caractérisait celui qui se faisait surnommer Jules Presley à ses débuts n’était pas suffisante pour expliquer le phénomène. Car le membre fondateur de Zaiko Langa Langa, s’il avait séduit le Zaïre de l’époque, avait un autre rêve : celui de conquérir le monde avec la rumba. Grâce à lui et à certains de ses disciples, la rumba prend des accents rock et pop. D’ailleurs, on parle de rumba rock ! Afin de se dévouer corps et âme à son ambition, Papa Wemba s’installe au milieu des années 80 à Paris. À cette époque, la ville lumière – où se retrouvent tous les enfants de l’ancien empire colonial – est l’un des épicentres de ce que Jean-François Bizot, le patron d’Actuel et de Radio Nova, appelle « la sono mondiale », plus tard étiquetée « world music » dans les bacs. La politique culturelle de Jack Lang favorise les échanges, en particulier avec l’Afrique, et Paris bouillonne de toutes les influences. Quand Wemba y débarque, il bénéficie de l’expertise de producteurs tels que Martin Meissonnier, Hector Zazou ou Philippe Conrath ainsi que de la curiosité d’un certain milieu parisien qui tombe sous le charme de l’artiste et de sa passion pour la S.A.P.E (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes). Plus tard, sa rencontre avec Peter Gabriel – qui lui ouvre les portes de son label, Real World, et de ses studios, lui donne véritablement un nouvel élan. Wemba parcourt les continents. Il jouit d’un formidable accueil au Japon où la rumba trouve – depuis qu’il y est allé avec les Zaïko – un certain écho notamment avec la création de formations musicales nippones de rumba congolaise. Puis, en 1995, la sortie d’Emotion lui permet de recueillir les faveurs de la critique et de la presse spécialisée outre-Atlantique. 

Papa Wemba – Yolele
Le désamour kinois 

Mais si la carrière du chanteur s’internationalise, sa fan base se sent délaissée et sa popularité en pâtit dans sa propre patrie, Kinshasa. La concurrence devient rude avec l’avènement d’une nouvelle génération. Les jeunes qui étaient acquis à sa cause vibrent désormais pour Wenge Musica et son ndombolo qui accélère le rythme de la rumba. Quant à la gente féminine, elle est sous le charme du poulain de Wemba : Koffi Olomide et son tchatcho. Comme le dit le fameux dicton : la nature a horreur du vide ! Papa Wemba en fait les frais. Le leader de Viva La Musica qui compte près d’un quart de siècle de carrière est simplement dépassé. Mais ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend à faire la grimace ! Le chef du Village Molokai a toujours su se réinventer ! C’est d’ailleurs l’une de ses forces ! Il semble même être meilleur face à l’adversité. Il se relance d’abord grâce à un album de très bonne facture, Foridoles, dans lequel il revient à ses premiers amours : la rumba traditionnelle. Par la suite, il enchaîne avec l’album Wake-Up, ou la rencontre au sommet avec son protégé, Koffi Olomide. Une espèce de Watch The Throne (album en commun de Jay-Z et Kanye West) avant l’heure. En surfant sur cette vague, le rossignol de Kinshasa prend l’initiative de monter un nouveau groupe, Nouvelle Écriture (dont le nom reprend celui du dernier album enregistré avec Viva la Musica).

De la rumba rock à la rumba rap : une nouvelle écriture

Papa Wemba recrute de nouveaux musiciens, tous de jeunes kinois qui contribuent à donner à sa musique un nouveau souffle. Wemba veut aussi sa part de ndombolo afin de coller à la tendance mais il va encore plus loin : il incorpore dans sa musique du rap. Tout d’abord, parmi ses nouveaux musiciens, il y a un certain New Jack qui fait également office d’atalaku (animateur, chanteur chargé d’ambiancer le public). Ce dernier sait aussi rapper comme un MC ou toaster comme un DJ, le tout en lingala. Le premier album avec Nouvelle Écriture contient du rap sur « Sai Sai », le suivant également. Sur Fula Ngenge, l’album qui marque ses 30 ans de carrière et son demi-siècle sur cette terre, Wemba invite, sur le morceau éponyme qui ouvre l’album, le groupe de son fief de Matonge : Croikastyle. Et c’est le morceau « O’Koningana » avec en featuring le rappeur Tony Saad qui est le véritable tube de l’album. 

PAPA WEMBA – O’KONINGANA

La rumba congolaise se teinte de R&B et confirme la tendance que Papa Wemba avait amorcée sur les albums précédents. Grâce à la forte rotation du clip sur MCM (ancêtre de Trace TV) et à la publicité de la confiserie Raffaello du groupe Ferrero qui utilise la chanson « Yolele » issu de son album Émotion, Wemba s’attire, au sein de la diaspora, les faveurs de la jeune génération. Dans les années suivantes, c’est elle qui va l’inviter sur ses projets. 

La reconnaissance de la jeune génération

Passi sur l’album du Bisso Na Bisso puis sur le projet Dis l’heure 2 afro zouk avec le tube « Anita, femme africaine » en featuring avec Singuila ou encore Abd Al Malik sur le magnifique « Ode To People » (Ground Zéro). En dehors de la diaspora, c’est DJ Kost qui l’invite sur Double Face, l’une de ses compilations à succès ou encore la rappeuse ivoirienne Nash sur « Sapologie ». Jusqu’à son dernier projet, Forever sorti à titre posthume, Jules Shungu Wembadio pour l’état civil continue de flirter avec les musiques urbaines à l’image de « Chacun Pour Soi » signé du beatmaker Dany Synthé (on lui doit notamment « Sapé comme jamais » de Gims) en featuring avec la superstar tanzanienne Diamond Platnumz. Papa Wemba contribue largement à ce mariage entre musique congolaise et rap. Depuis, d’autres artistes de la scène kinoise lui ont emboîté le pas, de Koffi Olomide à Werrason en passant par Fally Ipupa et sa série Tokoss qui élargit davantage le crossover entre les deux genres musicaux. Des artistes comme Gims et Dadju qui sont des Bana Viva (leur père fut membre de l’orchestre Viva La Musica) s’imprègnent et s’inspirent de son héritage. Quant au rappeur kinois Lexxus Legal, il lui a rendu un bel hommage post-mortem avec un groupe traditionnel tetela (l’ethnie de Wemba, comme de Lumumba, NDLR).

Enfin, d’autres rappeurs n’hésitent pas à le sampler comme Badi (le magnifique « Lettre à ma femme » d’après la dernière lettre de Lumumba à son épouse) ou à le citer en punchline comme Rohff dans « La Grande Classe » : « J’baisse pas mon froc mais le remonte jusqu’aux pecs, comme Papa Wemba », autant de preuves supplémentaires du lien entre le roi de la sape et les rappeurs dont il fut aussi l’idole.

L’Unesco consacre la rumba congolaise

Papa Wemba – DR

L’Unesco consacre la rumba congolaise

La rumba congolaise est depuis quelques heures inscrite à la liste du patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Une reconnaissance de taille pour la musique qui a conquis tout un continent, et étendu son influence bien au-delà.

Cette semaine, l’Unesco inscrit la rumba congolaise sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité, qui recense les traditions vivantes où s’expriment l’âme des peuples et partant, le génie de l’humanité toute entière. Et la rumba congolaise est bien de celles-là.

D’abord, elle sert depuis 80 ans de matrice à toutes les musiques modernes des deux Congo, qui continuent de perpétuer, sous des couleurs contemporaines, la grande épopée de la rumba. Elle est aussi le son, pour ne pas dire la langue, qui unit précisément ces deux pays, bien au-delà de l’ancien royaume Kongo que les frontières coloniales ont séparé. La rumba coule sur le fleuve Congo, papillonne entre les deux capitales, Brazzaville et Kinshasa, aussi librement que les notes du Dr Nico ou de Franco. Sa genèse d’ailleurs en témoigne : Paul Kamba et son orchestre Victoria Brazza d’un côté du fleuve (celui-là même qui, capitale de la France libre, se dotera d’un émetteur arrosant toute l’Afrique de… rumba), suivi sur l’autre rive de Wendo Sor (Wendo Kolosoy) et son orchestre … Victoria Kin. Car si à l’époque, Brazza a la puissance des ondes, Kinshasa (Léopoldville) possède la force des studios-labels (Opika, Ngoma, Loningisa) qui vont inonder le marché de 78 tours puis plus tard de 45 tours et permettre aux artistes de se professionnaliser.

Les conditions étaient donc réunies pour qu’explose ce nouveau son, qui incarnera la modernité africaine et tous les espoirs portés par l’indépendance, dansés sur un air de cha-cha-cha. 

Autant le dire, la rumba, dès ses débuts, est bien plus qu’un divertissement. Elle est un exutoire et une bouffée de liberté dans le contexte d’oppression coloniale : c’est d’ailleurs l’argument que développe à merveille le documentaire The Rumba Kings d’Alan Brain dont PAM vous a déjà parlé dans ces colonnes. La rumba est aussi un média à travers lequel, tandis que virevoltent les corps, on fait passer des messages, souvent voilés, alimentant les commentaires à « la cité » (c .a.d. les quartiers africains de la ville coloniale). Rien d’étonnant donc à ce qu’Aimé Césaire, dans sa pièce Une Saison au Congo, ait donné au nganda (le bar) et à la rumba une telle place dans l’agitation politique qui précéda l’indépendance. Une tendance que la suite de l’histoire ne démentira plus. On verra d’ailleurs la manière dont les politiques – Mobutu en tête- tenteront de s’appuyer sur les artistes pour asseoir leur pouvoir.

Et puis, et surtout, la rumba n’est pas seulement universelle parce que les orchestres congolais (de l’African Jazz à Zaiko Langa Langa, en passant par l’OK Jazz, l’African Fiesta, les Bantous de la Capitale, jusqu’aux Quartier Latin et Wenge Musica… ) ont conquis toute l’Afrique, et essaimé dans les terres diasporiques (Antilles, Colombie par exemple). Elle est universelle parce que son histoire est dès sa source mondialisée. Car elle naît du départ des esclaves Kongo qui emportèrent avec eux, dans le ventre des bateaux, leurs rythmes et leurs dieux pour leur servir de boussole dans les plantations des Amériques. Ce sont ces rythmes qui, se frottant aux éléments culturels européens et amérindiens, accoucheront de tant de musiques qui feront la puissance culturelle de cette partie du monde. Le blues, le jazz, le rock et la soul des Etats-Unis, le reggae de Jamaïque, et bien sûr les musiques cubaines qui eurent une influence majeure sur le développement de la rumba congolaise. Le son, le cha-cha-cha, le boléro, et la rumba cubaine [1], toutes pétries de racines africaines et réunies sous le nom d’« afro-cubaines », revinrent vers le continent-mère dès le début des années 40. Elles servirent de catalyseur au développement des grands orchestres, qui y greffèrent les multiples rythmes, influences et idées dont les deux Congo n’ont jamais manqué. Une longue épopée que PAM vous a déjà racontée. Et il n’était que justice, cinq ans après sa cousine cubaine, de voir la rumba congolaise entrer enfin au patrimoine mondial de l’humanité. Car, on ne le répètera jamais assez, le plus grand trésor du Congo n’est pas son sous-sol, mais bien sa musique.

[1] Le mot rumba lui-même, lit-on souvent, viendrait du mot bantou « nkumba », le nombril – la « rumba » ayant désigné une danse où se tutoient les nombrils des deux partenaires.

Source www.pan-african*music.com

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