Le rappeur et beatmaker montréalais Waahli répond à nos questions et nous offre « Jeunesse m’a dit » en avant-première, chanson issue de son nouvel EP Soap Opera où le rap côtoie les influences afro-caribéennes.
Né de parents haïtiens, Waahli Yussef est reconnu dans son pays à la fois comme guitariste, beatmaker et MC. Son aisance à la production et derrière le micro s’est déjà illustrée sur un premier album réussi sorti en 2018, intitulé Black Soap. Il est aujourd’hui de retour pour savonner de nouveau les oreilles de son auditoire avec les vibes de son EP Soap Opera. Le membre du collectif hip-hop Nomadic Massive dévoilait plus tôt la vidéo du premier single « Bliye Sa » chanté en créole haïtien, chaude et tubesque introduction à cet EP riche en groove et en bonnes idées. Entre l’ambiance reggaeton de « RAD », la mélancolie acoustique de « Wait » et la production léchée de « Jeunesse m’a dit » au service de son flow musclé, le Québécois montre en l’espace d’une poignée de morceaux qu’il a dans sa manche un paquet de cartes à abattre pour nous surprendre.
Parle nous de cette chanson que tu nous proposes en avant-première, « Jeunesse m’a dit ». De quoi parle-t-elle ?
J’adore cette pièce, c’est un sample qui était dans mon ordinateur depuis plusieurs années. Il y a près d’une dizaine de versions. Je me suis toujours dit qu’un jour, la bonne version fera surface, beaucoup de personnes autour de moi m’avaient recommandé de la terminer et voilà aujourd’hui c’est fait et je suis content du résultat final ! Cette chanson est ma réflexion face aux changements qui sont survenus dernièrement dans ma vie, au niveau professionnel et relationnel. Le sample semble me répéter comme un mantra « Jeunesse m’a dit ». C’est ce thème que j’ai résumé dans cette chanson, celui de continuer à rester cet enfant au fond de moi tout en ayant plus de responsabilités et en acceptant le changement. J’y célèbre aussi le parcours d’un rêve de jeunesse, utiliser ma musique pour véhiculer le changement et la guérison.
Tu es né de parents haïtiens, que t’ont-ils transmis de cette culture ?
Comme beaucoup de familles, mes parents ont émigré depuis Haïti vers le territoire canadien dans les années 70, afin d’y trouver une meilleure qualité de vie, des opportunités, et pour fuir l’instabilité politique de leur pays. Dès mon plus jeune âge mes parents m’ont transmis la beauté et les défis de la culture haïtienne à travers des histoires et des anecdotes. Que ce soit autour d’une table ou dans les rassemblements familiaux, j’ai beaucoup appris de cette culture. Mes parents m’ont inculqué une culture riche en musique et en traditions, de la nourriture comme la soupe joumou, au parler du créole haïtien, en passant par les expressions et la religion. Je me rappelle qu’il y avait beaucoup de musique haïtienne qui tournait chez moi, c’est comme ça que j’ai pu découvrir des artistes comme Tabou combo. Quand j’étais jeune, je ne comprenais pas l’importance des valeurs qui m’étaient transmises, car j’étais pris entre deux mondes identitaires complètement différents. Je devais tenter d’harmoniser ces deux univers, c’était un travail de tous les jours. Maintenant je suis reconnaissant d’avoir été autant exposé. Aujourd’hui père de famille, c’est à mon tour de transmettre cette belle culture.
Comment retranscris-tu ce background culturel dans ta musique ?
Il y a un aspect fascinant quand j’écris des chansons rap. Lorsque j’écris en créole haïtien, c’est une toute nouvelle personne qui sort de moi. Je me sens étroitement lié à cette culture et son histoire remarquable, qui s’accompagne d’une souffrance qui fait écho jusqu’à ce jour. J’ai grandi dans l’est de Montréal, dans un quartier qui s’appelle St Michel. Dans le temps, c’était un quartier qui était majoritairement haïtien. Les années ont été formatrices et ont forgé ma personnalité, m’apprenant à utiliser mon environnement et la culture haïtienne pour m’aider à joindre les deux bouts de manière créative et écrire des chansons en créole. Avec la culture hip hop comme fondation, je sens une certaine force qui m’accompagne dans tous mes textes en créole. L’utilisation du créole haïtien est une manière pour moi de me retrouver, de me comprendre, d’honorer la culture haïtienne et la langue parlée par mes parents et mes ancêtres jusqu’au début de l’esclavage.
Le Soap Opera à la télévision est caractérisé par des mélodrames et des sentiments. Est-ce aussi l’état d’esprit de ton EP ?
Oui, on peut dire que c’est intentionnel. Avant la création de mon nouveau projet musical, je cherchais une ligne directrice, l’essence de mon EP. L’idée de voir ma vie telle un « Soap Opera » collait parfaitement avec mon état d’esprit du moment. Ce projet qui a été composé durant le confinement, m’a donné beaucoup de temps pour réfléchir et creuser dans mon for intérieur afin d’extérioriser et exprimer certaines émotions qui étaient refoulées. Suite à ma rupture, je me rappelle avoir plongé directement dans le boulot, travaillant sans cesse pour occuper mes journées. C’était comme si j’essayais d’éviter à tout prix de me regarder dans un miroir. Je n’avais pas pris le temps de m’arrêter, vivre et passer à travers ces émotions. Le titre de mon EP est donc lié à cette histoire, je le vois comme un rappel de cette période vécue, qui est maintenant passée !
L’EP sortira le 31 juillet 2020 et sera disponible sur la page Bandcamp de l’artiste.
Source www.pan-african-music.com