Le rap sénégalais est l’un des plus bouillants d’Afrique de l’Ouest. Petit tour d’horizon à travers dix rappeurs qui ont fait l’année du rap « galsen » en 2021… et qu’il faudra suivre l’an prochain.
Les patrons du game
Nix, l’éternel avant-gardiste
Nix, c’est tout simplement l’une des figures incontournables du rap sénégalais depuis le début des années 2000. Il a su traverser les époques et les tendances, sans jamais être dépassé. Il l’a encore prouvé à la fin de l’année 2020 grâce à Virgo, un EP fabriqué comme un album et accompagné d’un film. Ce projet est né après un tournage en Casamance, la région au sud du Sénégal dont est originaire sa famille maternelle, et vient de remporter le titre d’EP de l’année aux Galsen Hip Hop Awards. Dans les paroles des six titres du projet, Nix parle de ses relations passées avec des femmes, d’histoires qui se sont mal terminées, tout en s’appuyant sur les caractéristiques attribuées au signe astrologique de la Vierge. Pour la partie musicale, il a fait appel à son collaborateur de longue date Flagrant Délit, compositeur de génie, originaire d’Évry en France, ancien membre du collectif du rappeur Disiz, et à Passa Beatz, l’un des beatmakers les plus novateurs au Sénégal. Le résultat est avant-gardiste, comme on peut l’entendre dans les titres « Babe » et « Moonwalk ». De son côté, le très beau court-métrage Long Story Short montre Nix en retraite spirituelle en Casamance, en quête de son identité et de son inspiration, après une rupture amoureuse. Aucun doute, la carrière de Nix est loin d’être terminée.
Hakill, le porte-parole de la jeunesse
Hakill est un rappeur originaire de la commune de Grand Yoff à Dakar qui mêle wolof, français, anglais et soninké dans ses paroles. 2021 a été une grosse année pour lui. En mars, des manifestations secouent le Sénégal. La jeunesse se révolte pour dénoncer le manque de transparence du pouvoir et les conditions de vie qu’elle subit. De nombreux rappeurs prennent la parole sur le sujet. Hakill décide alors de sortir de manière anticipée le morceau « Fii ». « Le titre, c’est un mot wolof qui signifie « ici », explique Hakill. Je l’ai enregistré avant les événements. Il parle de la vie au Sénégal, des difficultés que les jeunes rencontrent, de la vie chère, de la corruption, de tout ce qui gangrène la société. Il n’y avait pas de moment plus propice pour sortir ce son ». Le clip a été tourné pendant les émeutes pour « pour montrer réellement ce qui se passait et la colère des gens sur les visages ». En septembre, Hakill a sorti Yigo, un album dense et très cohérent musicalement avec de la drill (« Wa Kogn Ba »,« Juuni »), des chansons plus calmes (« Mayma Chance »), des sons old school (« Yeuf Yeug ») mais aussi pas mal de chansons Inclassables. En décembre, Deff Music, le label qu’il a créé avec One Lyrical, un autre nom incontournable de la scène, a fait grand bruit en remportant le prix du « meilleur album groupe de l’année » avec Game qui rassemble tous les jeunes talents signés sur la structure (Oothentik Zeus, Thieuk, K.O Prip Diip et Baoriish).
Les révélations de l’année
Akatsuki SN, les mercenaires des Parcelles Assainies
Comme partout ailleurs, le rap au Sénégal est une affaire d’individualités mais aussi de groupes. On pense bien sûr aux pionniers Positive Black Soul et Daara J qui ont posé les bases du hip hop au pays de la Teranga. Mais en 2021, le crew qu’il fallait absolument suivre se nomme Akatsuki SN. Il rassemble quatre rappeurs originaires de la zone des Parcelles Assainies, au nord de la capitale : le versatile Taalla BTB, le lyriciste LMN Xel Niar, l’affamé Sory l’Officier, et Xhalil, le roi des punchlines.Le groupe connaît un succès national à la fin de l’année 2020 grâce à la chanson « Weredi », un titre de drill imparable produit par le beatmaker Pharmacist, et s’impose rapidement comme l’une des références du style. Le premier album du groupe P.A. Universal est sorti en octobre dernier. Même s’il fait la part belle à la drill (« War », « Ci Yo Lë Dess », « Drill Galsen »), l’opus est varié, abouti et on peut y entendre des sonorités afrobeats/afrolove (« Flamme »), de la trap planante et nocturne (« Koneu ») et des ballades ensoleillées (« Never Change »).
Taal Bi, le porte-drapeau de Thiès
Au Sénégal, il y a un grand nombre de tremplins télévisés de rap et Taal Bi a commencé sa carrière en remportant les plus prestigieux (le Sen Petit Gallé et le Rap Wolof Mo Raw). En 2021, c’est son couplet plein d’égo trip au début du cypher (freestyle pendant lequel les rappeurs se succèdent sur une instru commune) organisé par le Rap Wolof Mo Raw qui lui a fait gagner une énorme notoriété. Taal Bi excelle dans la drill (« Mbiip ») et a pour spécialité de jouer sur le double sens, voire le triple sens, des expressions en wolof qu’il utilise. Autre chose : il vient de Thiès, l’une des plus grandes villes du pays, à 70 km à l’est de Dakar. « Thiès est une ville très artistique, avec beaucoup d’artistes talentueux mais qui ne percent pas. C’est la seule ville qui n’a pas un grand ténor dans le rap galsen. Pour moi, c’est un défi de porter le drapeau thiessois dans le monde entier », affirme Taal Bi. Sa première mixtape Less Waxul, qui vient tout juste de sortir sur Deedo Records, le label de Nix, oscille entre trap, drill, afrobeats et de mbalax.
Les confirmations de l’année
Jay 21, l’ascension après la reconversion
Jay 21 est un rappeur de 35 ans, originaire du quartier la Patte d’oie Builders à Dakar. Pendant plus de dix ans, il a été le manager de Canabasse, l’une des plus grandes stars du hip hop galsen. Il a surpris tout le monde en se lançant dans le rap en tant qu’artiste. Si vous voulez découvrir ce qu’est le rap galsen en 2021, il faut écouter son chef-d’œuvre IVK. Vous entendrez ce qui se fait de mieux dans la drill locale avec, « Wax », « Fagaru » ou encore « Ña ña ña » en featuring avec Dip Doundou Guiss, le roi du rap sénégalais et qui appartient comme lui à la communauté manjak. On peut y entendre aussi un très bon mélange de trap et de r&b qui rappelle les productions du label canadien OVO et de l’artiste Partynextdoor (« Dieuw », « Rakk »). Enfin, Jay 21 peut se targuer d’égaler les Nigérians sur leur propre terrain, à savoir l’afrobeats, avec le très chaleureux « Jox meu sa loxo » mais surtout avec le tube « Ride with me » en collaboration avec Nix et Ngaaka Blindé.
Samba Peuzzi, l’ovni
Samba Peuzzi, c’est l’un des personnages les plus singuliers et intéressants du rap game sénégalais. Avec sa voix, son flow et ses prods dépouillées comme sur ses tubes « Lou Yakou Yawa » et « Ndongo », on se sait plus très bien si on est encore dans le rap ou sur une autre planète. Cet artiste de 25 ans et originaire du quartier de Diamaguene Diacksao à Pikine s’est fait connaître il y a deux ans grâce à son titre « Marie & Cheikh » qui compte aujourd’hui plus de 8 millions de vues sur YouTube. Son premier album, Senegal Boy (2020), vient d’être élu « meilleur projet solo de l’année » aux Galsen Hip Hop Awards et a été en grande partie produit par Ludafrick, un beatmaker du Congo-Brazzaville auteur de la prod de « Dragon » du rappeur français Booba. D’un côté, on y trouve des sons afrobeats à la WizKid (« Wanted », « Thiatt »), des slows (« Oulalalah ») et des titres plus caribéens (« Mala Baal »). Mais il y a aussi des morceaux plus agressifs, plus trap, comme « Adama Paris » avec Nix et Jay 21 ou « Samabaloye ». Enfin, gros coup de cœur pour le morceau de drill « Ndaga » dans lequel trône en maître le tambour tama.
Paco Briz, le rap hardcore
Paco Briz, c’est un tueur, un rappeur très agressif, avec un flow ultra-rapide. Personne ne découpe les prods comme lui. L’artiste né à Yoff dans le 16e arrondissement de Dakar se fait un nom dans le game depuis plusieurs années et il vient tout juste de sortir SN 221, un EP très consistant.. Le morceau « Epic » qui ouvre le projet porte bien son nom et illustre à merveille le talent du rappeur. Quand on entend ce morceau, on se dit que c’est probablement l’un des plus grands kickeurs du pays. On apprécie beaucoup sa version musclée de la drill sur « SN 221 » et ses sons plus calmes comme le très engagé « Tumaal » ou « Deuké Ma Thioop » qui traite de la trahison. Dans le dernier morceau, « This My Time », Paco Briz l’affirme, son temps est venu, et on a de fortes raisons de le croire.
Nos paris pour 2022
Mbissine, la pépite
On continue ce tour d’horizon avec l’une de nos découvertes de l’année : la jeune pépite Mbissine. Elle a 21 ans et elle vient de Dakar. Elle a commencé à rapper à l’âge de 12 ans en découvrant Nicki Minaj, et cette influence s’entend bien dans son flow et sa voix sur l’incroyable « I’m Done », dont elle a elle-même financé la session studio et le clip. Mbissine, c’est une battante « Je me vois comme une lionne seule dans la brousse qui cherche à atteindre ses objectifs. J’en avais marre. Je suis plus forte que plein de rappeurs, mais les médias ne mettent pas en avant les femmes rappeuses. Sur ce son, je me révolte contre ça ». Quelques mois plus tard, elle confirme son talent avec, à nouveau, un son agressif, « Hé mane la way », dans lequel elle clashe tous les rappeurs du Sénégal, avec une force qui rappelle l’Anglaise Flohio. Mais Mbissine, c’est aussi une grande chanteuse, qui a été bercée au reggae et dont la voix rappelle celle de la Jamaïcaine Koffee (« Lucide »). On reparlera d’elle en 2022, ça c’est certain !
Shampagne Baby, la princesse de la drill
En mars, Shampagne Baby, la rappeuse italo-sénégalaise de 21 ans, a enflammé le studio de Vibe radio à Dakar avec sa drill et son flow. La version live complètemen folle de son featuring avec le rappeur Papeush a rapidement fait le tour de la toile. Shampagne Baby est née et a grandi à Bergame en Italie et rappe aussi bien en wolof qu’en italien (voir « Bad Bitch »). Sa collaboration avec Papeush a finalement été dévoilée sous le titre de « Present and The Future ». Pour la petite histoire, la rencontre entre les deux artistes du label Buur Music, implanté à Guédiawaye dans la banlieue de la capitale, a pu se faire grâce à la présence de la jeune femme au Sénégal, venue pour sa lune de miel. Un succès parfaitement mérité mais inattendu pour la rappeuse qui a enfoncé le clou en juillet avec « Mbougeul », qui signifie « châtiment » en wolof et prévient la concurrence de son arrivée dans le game. Shampagne Baby termine l’année avec un nouveau morceau de bravoure (« Doffo Sakh ») en featuring avec Papeush sur l’EP de ce dernier. Il est à parier que la jeune artiste nous prépare des surprises pour 2022.
Dopeboy DMG, à tout jamais le premier
Dopeboy DMG, ça fait un moment qu’il est dans le game galsen, qu’il trace lentement mais sûrement son chemin vers le succès. Le Dakarois a déjà remporté de sacrées victoires comme lorsqu’il a signé le tube « LAFF » en 2017 avec Dip Doundou Guiss. Mais, c’est en 2020, qu’il a gagné en exposition grâce à « Dakar Drill », un morceau qui a attiré d’un coup l’attention du monde entier sur la scène drill sénégalaise. En 2021, il devient le tout premier artiste signé sur 92i Africa, la division africaine du label du rappeur Booba. Un sacré coup de pouce dans l’avancée de sa carrière. « Booba écoute tous les sons que je fais, il est là en soutien, il me donne des conseils, nous a raconté Dopeboy DMG. Ça me permet d’avoir des connexions différentes, avec des beatmakers de Paris, et de travailler sur d’autres styles de prods. Avec ça, je peux envisager de toucher d’autres pays africains. Ça va demander beaucoup de travail, mais on est prêt ».
Vous l’avez compris, le rap galsen – qui depuis le début des années 90 fait figure de pionnier en Afrique francophone – est en pleine effervescence. Une nouvelle génération de rappeurs s’est emparée de la dernière tendance de la drill pour exprimer son talent et se faire remarquer, tout en renouvelant profondément le genre, alors qu’ailleurs on se contente souvent de copier le modèle de Pop Smoke. Au-delà de la drill, la scène est riche de figures inclassables, avant-gardistes et aventureuses à l’image de Nix et Samba Peuzzi. Le Sénégal n’a pas fini d’être à la pointe de ce qui se fait dans le hip-hop du côté de l’Afrique de l’Ouest !
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