Quinze ans après le premier volet de leur projet fusionnel Zentone, les deux groupes parrains du dub français se sont retrouvés en studio pour un nouveau choc des titans. Dom, batteur d’High Tone et Matthieu, bassiste de Zenzile, ont raconté à PAM la genèse de ce second chapitre.par François Renoncourt23 novembre 2021
Comme ce fut le cas pour beaucoup d’artistes, la crise sanitaire a servi de catalyseur créatif pour les Angevins Zenzile et les Lyonnais High Tone. Les deux bandes de copains musiciens, accessoirement solides piliers du dub français depuis plus de 20 ans, ont rallumé la flamme de la collaboration suite à un concert commun au Métaphone de Oignies, dans le nord de la France. Dénuées d’un esprit de concurrence perverse, les deux formations avancent depuis toujours avec la même envie, sur un chemin underground parsemé de riddims, qu’ils soient organiques pour Zenzile ou plus électroniques pour High Tone. En 2006, au sommet de leur carrière, ils donnaient le meilleur d’eux-mêmes sur Zentone chapter 1, une logique rencontre au sommet où chaque musicien se nourrissait des idées de son vis-à-vis. C’est à l’aube du troisième confinement que leur vient l’envie de se réunir de nouveau, quinze ans plus tard, pour faire renaître Zentone. A Villeurbanne, les neuf musiciens s’enferment alors pendant six jours en studio pour des séances intenses de « call and response », un travail d’équipe en forme de retour aux sources au résultat aussi efficace sur une platine de salon qu’à travers le mur d’enceintes d’un sound system. Cerise sur le gâteau, de remarquables invités vocaux apportent à cet album un goût indéniablement roots, où guitares et claviers expérimentés viennent habiller la structure basse/batterie caractéristique assurée respectivement par Matthieu et Dom, les cobayes de notre interview.
Le Zentone chapter 1, c’était il y a 15 ans… D’où est venue l’envie d’un volume 2 ?
Matthieu : c’est un truc qui était sur le feu depuis un moment, qui avait été repoussé pour des histoires de planning et de calendrier. A la base tout le monde était ok pour remettre le couvert, et c’est lors du concert au Métaphone qu’on a relancé le projet, avant le Covid. La crise a permis de resserrer les plannings, on n’avait rien de mieux à faire que d’aller au studio ! Une fois que l’idée était lancée, c’est allé assez vite, on a joué sans trop réfléchir.
Le process était-il similaire à celui du premier chapitre ?
Dom : En 2005 on avait beaucoup moins de temps, on enchaînait les tournées, les albums… Cette fois, on a plus anticipé cette session. On était aussi plus motivé à cause de la frustration due à la période, ça a vraiment joué. Il y avait besoin d’un investissement humain et musical très dense pendant les sessions studio. On a été productif, on est sorti avec presque 25 tracks. C’était une session très riche et très intense.
Matthieu : Tout en gardant à l’esprit que c’est quasiment un one shot, presque sans filet, presque comme une session de jazz. Se retrouver et faire de la zik comme ça, c’était fort ! Personnellement, ça a fait du bien à mon ego de musicien de faire quelque chose de créatif, ce simple fait de jouer avec les gars. C’était plus détendu que la première fois, on n’avait rien à perdre. Les deux univers se sont rencontrés, sans obligation, juste pour l’échange. On s’est nourri des envies et des forces des uns et des autres, ça nous a rafraîchis ! Je pense que nous sommes allés plus loin que si nous avions fait un nouveau projet High Tone ou Zenzile.
Si je comprends bien, il y a deux versions de l’album, une vision Zenzile et une vision High Tone. Quelles sont les différences ?
Matthieu : Plus qu’une vision, c’est le mix qui est différent. Les bases des morceaux sont communes à l’ensemble du projet. A la différence du premier Zentone, les deux groupes avaient chacun l’ensemble des dix morceaux, et on avait mélangé les vingt versions entre les supports CD et LP. Sur le nouveau, on avait plus le temps de mixer les morceaux, donc on avait un format plus long en termes de matière, et on s’est rendu compte qu’il était plus pertinent de séparer les mixes pour l’homogénéité. Les mixes de Zenzile sont sur le CD, ceux d’High Tone sont sur le vinyle, on n’a pas panaché.
Dom, entretemps tu as créé Blanc Manioc, un label dédié aux musiques africaines. Est-ce que cette passion a influencé ta vision sur ce nouveau projet Zentone ?
Dom : Mon rôle dans Blanc Manioc est plus un rôle de directeur artistique et de production phonographique. Je gère les relations avec les artistes, qu’il s’agisse de leurs intentions, leur excitation, la gestion de leur carrière. C’est vraiment deux démarches séparées, par rapport à mon rôle de batteur, qui se fait sans réfléchir, alors que Blanc Manioc est une remise en question permanente. Par rapport à Zentone, il y a la même fraîcheur dans les rencontres, dans le fait de créer des choses nouvelles avec des artistes. Par contre, Blanc Manioc est dans une esthétique très électronique et mine de rien avec Zentone on est revenu sur quelque chose de plus organique, même si on est sorti de notre période 100% computer chez Blanc Manioc et qu’on commence à intégrer des chanteurs ou des instruments. Ce qui me passionne, c’est de regrouper des gens autour d’un projet.
Toutes ces nouvelles découvertes ont-elles influencé ton jeu de batterie ou tes idées sur le projet ?
Dom : Ma porte d’entrée en Afrique de l’Ouest et au Mali n’a pas été à travers les percussions et le rythme. Je sortais d’une période dubstep en 2012 où il n’y avait plus d’air dans les enceintes, j’en avais marre que les gens se tournent toujours vers Londres pour savoir ce qui aller se passer le lendemain en musique. J’ai découvert la kora, le chant et la flûte, et ce qui me faisait du bien, c’était écouter Ballaké Sissoko ou Toumani Diabaté pendant quatre heures. Après évidemment, j’ai bouffé du rythme, et on est tous fans d’afrobeat ou de highlife. J’ai quelques maquettes d’High Tone avec des beats afrobeat mais elles ne sont jamais sorties (rires). Dans Zenzile, Werner joue des rythmes afrobeat sur des trucs dubby !
Le nom Zenzile est aussi celui d’un poète sud-africain engagé contre l’apartheid. Quel est votre rapport à l’Afrique ?
Matthieu : Le nom est un concours de circonstances. Quand on a commencé à faire de la musique, on n’avait pas de nom. On avait samplé des poèmes a capella de cet homme. Non content de lui avoir pris son poème, on lui a aussi piqué son nom (rires). Mais ça s’est bien passé, nous l’avions contacté, c’était aussi une forme d’hommage. Après, on a eu la chance d’aller en Afrique en 1999, Angers étant jumelé avec Bamako, et grâce au groupe Lo-Jo qui avait lancé beaucoup de passerelles. Ce sont un peu les parrains de l’ouverture sur les musiques du monde, et surtout africaines, ce qui nous a permis d’élargir nos influences très tôt, de manière naïve. On est allé là-bas, on a pris notre claque. On avait fait un projet avec des jeunes musiciens, et nous sommes plus ou moins restés connectés avec cette dimension, sans forcément creuser le sillon Afrique comme a pu le faire Dom. Mais au sein de Zenzile, on est forcément très influencés par la Jamaïque, et on a de gros fans de musiques africaines, il y a plein de moyens de s’y rattacher, mais sans copier, à notre manière.
Dom, quand vous jouez ensemble, qu’est-ce que Zenzile apporte à High Tone ? Quelles sont leurs forces ?
Dom : On est toujours impressionné du travail dans la préparation, et dans le jeu. Ils sont allés fouiller dans tous les petits recoins du style. Mine de rien, le dub, c’est l’épure. Et quand tu épures, tu te mets un peu en string devant tes potes, et quand tu es en string, il faut savoir le porter (rires). On aime leur travail de recherche, le groove, l’assise rythmique, le langage musical en général, et leur univers. Comme on parle musique, qu’on vit musique et qu’on tourne ensemble, on arrive à détecter en eux tous ces détails. On adore l’espace qu’il y a dans leur musique, ce qui est rare. Les gens ont souvent trop tendance à charger, et se taire est aussi une force. Faire le choix de se taire, c’est aussi faire le choix de jouer.
Matthieu, je te pose aussi la question, qu’est-ce qu’High Tone vous apporte ?
Matthieu : Pour moi c’était tout simplement la fraîcheur de jouer avec des personnes différentes, notamment avec Dom, ce qui change mes habitudes. Ça peut être déstabilisant, mais en fait ça casse la routine. Le fait que les idées viennent des musiciens en place, c’est ce mix qui est intéressant, et qui permet d’aller là où on ne serait pas allés par nous-mêmes. Ça fait du bien de parfois se dire qu’on n’aurait pas eu cette idée-là ! Parfois High Tone s’approprie une de nos idées et la reprend dans son langage propre, pour la rendre plus qualitative. Ces musiciens ont une vraie personnalité, une marque, un caractère, qui ne tient pas forcément de la virtuosité, mais plutôt de l’inspiration. Il y aurait pu avoir un problème d’ego, mais tout le monde a bossé pour le projet, en jouant ou sans jouer. On a tous participé, même pour la vie courante, comme faire les courses ou faire la bouffe ! Je pense qu’on est plus sages que lors du premier projet.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les invités vocaux ?
Dom : Avec Nazamba, le lien s’est fait simplement car il a travaillé avec OBF [Original Bass Foundation, collectif de dub français lancé au début des années 2000, NDLR]. On est parti sur le thème de la révolution dub, c’est-à-dire comment une petite technique de studio sur une île perdue est devenue cet extraordinaire mouvement musical. Je ne connaissais pas Nai-Jah, il est pourtant à Lyon ! Il répétait dans un local où on a fait Zentone, la porte d’à côté ! C’est Fab, le bassiste d’High Tone qui a créé le contact. Nai-Jah est né au Nigéria, il nous a sorti l’un des morceaux qui me touche le plus, il a une qualité de voix exceptionnelle. Il y a une forme d’originalité, son texte est conscient sur l’exil et les migrants, le sujet est très fort. On avait déjà travaillé avec Rod Taylor par le passé, un Jamaïcain installé en France. C’est une voix de dingue à la Dennis Brown, à la Horace Andy, et surtout à la Rod Taylor, parce que c’est quand même un tonton ! Le quatrième c’est Jolly Joseph de Dub Sheperds, de Clermont-Ferrand. Chaque fois qu’on envoyait une instru, on était agréablement surpris du retour. Encore une fois, ça a été super simple.
Matthieu : Les quatre featurings ont eu une démarche inspirée et sincère. On a plus l’habitude des featurings qu’High Tone, on sait que ça n’est pas toujours simple à gérer. Il y avait cette petite frayeur d’intégrer des invités, mais à l’arrivée, ils ont mis tout le monde d’accord ! Il n’y a pas de redite, ils ont tous une tessiture de voix différente, ça fonctionne clairement.
Vous avez un point commun, vous êtes tous les deux en place et solides depuis plus de 20 ans, et vous restez des références du dub français. Quel est le secret de votre longévité en quelques mots ?
Matthieu : Amitié, collectif et camaraderie ! Si on était là juste pour le business, ça n’aurait pas marché. Rejouer avec High Tone nous a ressourcé, ça nous a remis du carburant dans le moteur.