Des églises aux scènes hip-hop en passant par ses fructueuses collaborations avec Mayra Andrade et Branko, EU.CLIDES suit une trajectoire prometteuse, confirmée par son premier EP, Reservado. Rencontre avec le jeune chanteur, guitariste et producteur luso-capverdien.
EU.CLIDES a fait de la musique sa profession de foi. Né au Cap-Vert, le jeune garçon – dont le père est pasteur – découvre la musique sur les bancs de l’église. « Mes parents ont joué un rôle très important dans mon éducation musicale.Mon père joue de la guitare, il chante aussi, il jouait à l’église, donc ça a toujours été une grande référence pour moi », raconte Euclides. Mais à peine a-t-il le temps de fouler les rues de Praia, capitale de l’archipel où il a vu le jour, que ses parents font déjà leurs valises pour le Portugal : Lisbonne d’abord, puis le Nord du pays.
« A mes trois, quatre ans j’allais commencer par la batterie, mais après quand on est allé dans un petit village, il n’y avait pas de batterie à l’église donc je me suis mis à la guitare, c’était très naturel. Puis, mes parents ont bien aimé l’éducation du Conservatoire, le contexte… je faisais beaucoup de compétitions, ils m’ont toujours soutenu. Ils étaient tout le temps derrière moi. »
Euclides suit donc ce cursus, studieux et intensif, qui le mène à Paris, nouvelle escale qui arrive à point nommé selon lui, en répondant à son désir d’ouverture d’alors : « À mes dix-neuf ans, quand je suis arrivé à Paris, j’avais besoin de sortir de ça. C’est ce que j’ai ressenti parce que je gérais mal les compétitions, je commençais à faire des crises d’angoisse. Je déteste les compétitions maintenant. Musicalement parlant ça n’a pas de sens, même si je comprends. » Une angoisse qu’il surmontera tout de même en participant aux qualifications – pour le Portugal – du plus célèbre concours européen de la chanson, l’Eurovision. Mais d’autres expériences vont durablement influer sur le cours de sa vie.
Sur la route
Sa première tournée avec Daara J Family, groupe majeur du hip hop sénégalais, en fait partie. Avec Faada Freddy et N’Dongo D, il sillonne l’Europe pendant plusieurs mois et retourne également sur le continent africain pour la première fois depuis son départ du Cap-Vert, lors d’un concert au Congo chargé en émotions. Avant cela, Il avait fait ses armes en accompagnant sur scène des pointures du hip-hop français, comme Kaaris ou le doyen MC Solaar lors des soirées Hip-Hop symphonique. Mais c’est surtout en 2019 sur la tournée de Manga, quatrième album de sa compatriote Mayra Andrade qu’Euclides prend une autre envergure. « Enchaîner avec Mayra c’était vraiment cool », se remémore-t-il avec une certaine admiration, « parce que c’est une artiste que j’écoute depuis gamin, elle est Capverdienne comme moi. Je suis même allé la voir une fois à Coimbra quand j’avais douze ou treize ans. » S’il avait su à l’époque que l’une de ses idoles le contacterait via Instagram pour lui faire passer une audition de sa tournée, il ne l’aurait probablement pas cru un seul instant. Résultat, quand on lui confirma qu’il était pris : « J’ai couru partout pendant cinq minutes, j’étais Usain Bolt », s’exclame-t-il dans un rire. Une fois passée l’euphorie de la nouvelle, non sans doutes, il lui faut adopter une nouvelle guitare, cette fois-ci électrique. Il s’en sort haut la main, mais les mois passés sur scène et sur la route au côté de Mayra auront été riches de bien d’autres enseignements: « Connaître Mayra, ça m’a appris beaucoup de choses. Elle a un talent monstrueux, elle est super professionnelle et en même temps elle est super musicale, c’est grave une référence pour moi », avoue Euclides avant de poursuivre,«j’ai vraiment appris beaucoup de choses pour ma propre vie perso, mon projet, comment je vois la musique.Le fait de tourner je pense que c’est important parce que ça te fais comprendre que t’es vraiment petit. Parce que le fait de voyager, rencontrer différentes personnes, tu te rends compte qu’il y a tellement de gens talentueux, donc il faut se distinguer, avoir une identité forte. Et c’est aussi sur la tournée de Mayra, que je me suis dit : j’ai envie de plus, il faut que j’arrête la tournée pour commencer mon projet ». C’est ainsi qu’Euclides a clos le premier chapitre de sa jeune carrière, pour se mettre à en écrire un nouveau, dont il serait le personnage principal.
Premier rôle
Passer le cap d’une aventure de groupe à une échappée en solitaire n’est jamais chose aisée. Mais la vie est parfois bien faite, puisqu’une nouvelle rencontre tombe à point nommé : celle du DJ et producteur João Barbosa aka Branko. « J’écoutais beaucoup Branko pendant la tournée, c’est à ce moment là justement que j’ai commencé à écouter pas mal de musique électronique, l’afro de Lisbonne, toute cette scène là. » Aux côtés des artistes inclassables du label Príncipe Discos et de nombreux autres acteurs de la scène lisboète, Branko, avec son propre label Enchufada, catalyse l’effervescence artistique et cosmopolite qui agite Lisbonne depuis maintenant plusieurs années. « Avec Branko, on s’est rencontré pendant la tournée de Mayra au festival Quarteira de Dino D’Santiago, au sud du Portugal. On a parlé vite fait et quelques mois après on était déjà en train de faire des trucs en studio. » Si la rencontre fût fortuite, elle semblait pourtant écrite d’avance. Avant même que l’idée d’une collaboration ne vienne à l’esprit des deux hommes, Branko avait déjà pris Euclides sous son aile en lui distillant de bons conseils. Quant au Buraka Som Sistema, le groupe de Branko, il n’a pas seulement impressionné Euclides, mais il a marqué toute la nouvelle scène portugaise : « Buraka Som Sistema a même révolutionné le pays je dirais. Parce que tu voyais tout le monde s’ouvrir à ce style de musique afro et moderne. On sait déjà que tout le monde est fan de Cesária Évora, mais Buraka c’est le truc un peu méchant, sale », analyse-t-il avant de renchérir : « le groupe a déclenché un vrai mouvement au Portugal et maintenant on est tous là-dedans. « Nova Lisboa » c’est justement ça, ce mélange qu’il y a entre le traditionnel et tous les trucs électroniques. Et il y a des trucs pour moi qui restent « Nova Lisboa », et peut-être qu’il n’y a même pas d’afro dedans, mais ça c’est moi qui le voit comme ça (rires) ». Euclides ne croit pas si bien dire. Il n’y a qu’à se pencher sur un artiste aussi hybride que le lisboète Pedro Mafama, pour ne citer que lui, qui sortait en mai dernier son premier album, Por Este Rio Abaixo, aussi bien imprégné du folklore traditionnel national, que de l’influence des grandes divas du monde arabe et des cadences rythmiques africaines. « Je pense que cette génération-là juge beaucoup moins. Du coup ça permet à la musique d’avoir plusieurs identités, d’avoir des mélanges improbables qui marchent super bien. » Euclides voit juste.
Lui-même s’inscrit dans cette tendance en réinvestissant l’héritage culturel de ses origines capverdiennes tout en l’intégrant à ses obsessions musicales du moment, sans avoir peur des grands écarts : « Là, je suis plutôt dans une phase où j’essaye juste de revenir en arrière, reprendre mes origines : la musique du Cap-Vert, la musique traditionnelle portugaise, la guitare classique. J’essaye de mélanger tout ça avec ce que j’écoute maintenant, comme tous les gars de la musique électronique afro-portugaise, la batida : Vanyfox, Danifox, Tia Maria Produções, je suis à fond sur ça ! Quand je fais mes sessions de skate j’écoute que ça. »
Cela se retrouve dès l’introduction de son premier EP, le délicat Reservado, sorti en mai dernier sous le sceau du label Enchufada, où Euclides témoignage de son admiration pour le compositeur capverdien Orlando Pantera, sous la forme d’une ballade afrobeats contemporaine.
Né d’une pérégrination individuelle et intérieure, autant que collaborative, Reservado est une pure prise de risque, une tentative artistique qui dénote au regard de ses expériences passées et des enseignements reçus à l’église et au Conservatoire. « Cet EP pour moi est plus expérimental. Il est beaucoup passé par les ‘drums’, les beats à l’origine. Il y avait un peu ce défi de me lancer avec mon ADN sur ce genre d’instrus que je kiffe aussi. Et de manière naturelle, dès que je prends la guitare et que je chante, ça fait fusionner ces deux mondes. Quand tu écoutes l’EP, c’est évident : c’est EU.CLIDES. »
Le regard porté sur l’avenir, Euclides avoue être « déjà passé à autre chose depuis la sortie de l’EP », il est « en mode album »comme il s’amuse à dire. Concernant la suite, il annonce : « je vais prendre mon temps pour découvrir l’identité de l’album. Je veux vraiment intégrer tout ce que j’aime, pas seulement le côté électro, je veux un peu plus intégrer la chanson, la guitare… Je vais prendre un peu plus de temps, qui sait il y aura peut-être un single d’ici la fin d’année, on verra (rires) ».Il ne nous reste plus qu’à prendre notre mal en patience et à suivre l’éclosion de cet artiste aux multiples talents, qui a fait de la simplicité son leitmotiv.