Le rappeur ghanéen lance l’offensive avec ce premier album fracassant, dédié à son frère défunt. Un voyage glaçant dans les ghettos ouest-africains, une version audio du « drill-tourisme » 2.0.
Welcome to reality » : le Ghana de Kweku Smoke n’est pas celui des plages ensoleillées et de la fête. Dans Snoop Forever, le propos est celui de la rue, de la pauvreté, des quartiers abandonnés et du crime. La bande-son de ce film glaçant ? La drill, ce sous-genre de rap né dans les pires ghettos de Chicago. Ce son crasse, caractérisé par des mélodies sinistres et des basses 808 augmentées, a servi comme base à nombre d’artistes américains et anglais pour rapper sur leurs agissements macabres. Au Ghana, le sous-genre connaît depuis quelques mois un succès fulgurant notamment à Kumasi, deuxième ville du pays, où les rappeurs se sont reconnus dans cette musique sombre et violente. Kumasi a depuis lors été rebaptisée Kumerica, là où les jeunes se sentent mieux représentés par les rappeurs de gang de Chicago que par les doux chanteurs d’afropop. Kweku Smoke en est un des plus dignes ambassadeurs. « Quand on a commencé la drill ici, c’était difficile pour les gens de comprendre ce genre de musique », nous dit-il. « Au Ghana, on n’aime pas assez le rap, ce n’est pas notre truc. Mais peu à peu, la drill prend le dessus, la plupart des jeunes en font maintenant. C’est une bonne manière de promouvoir le hip-hop, et dans notre drill tu sens la vibe locale. » De fait, les textes de Kweku ne font pas dans la narration de meurtres, de ventes de drogues ou de guerre de gangs comme aux USA ou à Londres. Cependant, Snoop Forever reste un portrait frappant des histoires de ghettos ghanéens : « Si tu écoutes cet album en entier, tu sens l’ambiance de la rue, les choses qu’on subit dans la rue, la douleur que les gens ressentent dans la rue. Et c’est aussi un album de détermination, de motivation et d’inspiration pour les ghettos. Je souhaite que cet album sorte et touche chaque mec libre qui essaie de faire quelque chose de sa vie. »
Si Kweku Smoke aime raconter les difficultés de la précarité, il en connaît aussi très bien la cause. Dans le clip saisissant de « On The Streets », accompagné de Kwesi Arthur, le rappeur roule dans les pires quartiers de sa ville ou fait un discours habillé en prêtre, prêchant ses quatre vérités à ses compatriotes. « Sur ce morceau, j’essayais juste de mettre la lumière sur les conditions de vie des jeunes au Ghana et dans l’Afrique entière, parce que j’ai vu des choses similaires au Nigéria, au Libéria ou ailleurs », raconte-t-il. « Ces jeunes n’ont personne pour s’occuper d’eux dans la rue, et il y a plein d’autres gens comme ça ici. J’ai été dans cette situation et je sais ce que ça fait. Quand on n’a personne, pas de gouvernements qui se soucient de nous, des prêtres qui essayent de briser des familles, tout ça. J’ai tout mis dans cette vidéo. Le refrain c’est “dans les rues, on n’a personne à part Dieu” ». La drill aura rarement sonné aussi triste. Le titre de l’album est tout aussi touchant, dédié à Snoop, frère du rappeur, décédé pendant l’écriture du projet. Sans détour, Kweku nous raconte : « J’avais une idée différente de mon album avant ça, mais quand j’ai perdu mon frère, j’ai senti le besoin de retourner au studio et de tout refaire, parce que mon frère avait fait partie de ma carrière musicale. J’ai grandi en apprenant toute ma musique de lui, en écoutant ses CD, en retenant ses chansons. Quand je lui ai dédié mon album, j’ai senti comme un soulagement parce que j’avais finalement fait quelque chose pour lui. Pour son nom, pour tout ce qu’il a fait pour moi, pour son soutien. Ça me soulage. Mon frère va être heureux où qu’il soit, et il sera fier de ce que j’ai fait pour lui. »
« Mon album est sombre et dur, parce que c’est comme ça que je suis. Je suis dur, je ne lâche rien, j’ai toujours ce que je veux. Ce n’est pas de la colère; j’essaie juste de montrer la dureté, la motivation et la douleur dans mon rap. » Sur des morceaux comme « Serious », « Kwashe N****s » ou « More », ces émotions sont parfaitement transmises. Deux ou trois morceaux dansants sont les exceptions qui confirment la règle (« Tonight », « Fine Girl »), mais Snoop Forever est bien un pur album de rap, à l’heure où les frontières entre les genres musicaux se confondent de plus en plus. « Je suis un rappeur! » se justifie Kweku. « C’est mon premier album officiel, donc je ne voulais pas me déguiser en chanteur. » Pour ce faire, le jeune rappeur s’est entouré d’un casting hip-hop massif : 10 artistes, du rap king Sarkodie au Sud-Africain Emtee, en passant par Bosom P-Yung, son acolyte du Krakye Geng. « J’aurais pu tout faire seul, mais je ne voulais pas être égoïste », taquine-t-il. Et de fait, ses morceaux se partagent de plus en plus. Si Snoop vivra désormais pour toujours, on souhaite longévité à la musique de Kweku.