Le 4ème film de la série Off the Map nous emmène à Lomé, dans les pas de Noire Velours, jeune chanteuse qui fait valoir ses différences et tente de se libérer des complexes que le silence de la société perpétue. Un documentaire signé Elom 20ce qui a répondu à nos questions.
Une jambe noire, l’autre claire. Noire en France, “blanche” au Togo. Christelle Houefa Anoumou, aka Noire Velours, s’est habituée à la dualité. Mieux, elle en a pris son parti et fait le pari d’en tirer sa force de vie. Car l’histoire dans laquelle nous plonge Elom 20ce, rappeur, cinéaste et “artiviste” dont PAM vous a déjà souvent parlé, est celle d’une jeune femme qui a d’abord réussi à dompter sa maladie et à vaincre le regard des autres pour s’assumer pleinement.
Ce n’est qu’à l’adolescence qu’on lui a découvert un lymphoedème, problème de drainage qui entraîne le gonflement de certains membres. Pour le contenir, la jeune femme s’est habituée à mettre un collant de contention noir autour d’une de ses jambes, devenu un signe distinctif, une marque de sa personnalité. Il y a d’abord cette résilience-là, mais aussi la résistance aux complexes, dont ceux liés à la couleur de la peau, dans une société où tout semble vouloir contribuer à les perpétuer. Et la musique dans tout ça ? Justement, elle sert de véhicule à cette expérience, à ses idées, et à sa voix biberonnée à la soul, au jazz et au Rnb. Noire Velours le dit : “La voix, ça m’évoque le pouvoir… parce que tu peux faire passer qui tu es, la philosophie et les valeurs que tu as, les idées que tu veux implanter dans la tête des gens…tu peux les faire passer par ta voix. De toute façon, c’est la voix qui fait passer les messages”. C’est bien sa voix, son profil singulier et sa vision de la société qui ont poussé Elom 20ce à s’intéresser à la jeune artiste.
Pourquoi tu as choisi Noire Velours, qu’est-ce qui t’a intéressé chez elle ?
Son histoire est intéressante, parce que c’est quelqu’un qui vit entre deux mondes. Elle vit en Afrique, elle fait une musique occidentale, et beaucoup de ses repères sont encore en Europe (où elle a grandi, NDLR). Elle est entre les deux. Elle sort aussi du lot par rapport au milieu musical togolais… elle chante en anglais dans un pays francophone. Et puis surtout, il y a sa résilience : elle a transcendé une maladie rare et, là où d’autres se seraient découragées, et n’auraient jamais rêvé d’être chanteuses, elle l’a fait. Moi je l’ai connue avec sa chanson « Black is Beautiful »: vue d’ici elle est « blanche » parce qu’elle a la peau claire, et elle s’est dit « mais pourquoi je devrais avoir des privilèges parce que je suis moins foncée ? il y a plein de femmes qui sont belles autour de moi ». Noire Velours ne renie pas son côté occidental, mais essaie de valoriser les choses d’ici. Aujourd’hui elle fait des musiques assez osées… je n’aime pas tout, mais dans le contexte togolais, où il y a une grande pudeur, elle chante « j’aimerais qu’on me fasse ça comme ça » … elle assume sa différence et nous dit que dans la différence on peut trouver de la complémentarité.
C’est une des questions que soulève le film : en Afrique, être fier de sa couleur de peau quand on est noir, c’est toujours compliqué ?
A Lomé les panneaux publicitaires te disent tous, et partout, que c’est la peau claire qu’il faut avoir… on te dit pas que c’est des produits décapants, mais on dit que c’est pour avoir une peau « belle ». On est encore dans des sociétés où on se dit que ce qui vient d’ailleurs est meilleur, et c’est cela, le désamour de soi. Il n’y a pas que la dépigmentation de la peau, c’est aussi la dépigmentation du cerveau. Noire, elle apprend à s’aimer ainsi et à se porter ainsi. Qui vous a appris à vous détester ? C’est toujours actuel, et c’est le gros problème de l’Afrique : le désamour des Africains pour eux même et pour leur terre.
Dans le film, elle dit aussi que les Togolais sont frustrés et qu’ils souffrent, mais qu’ils gardent tout à l’intérieur. Elle, elle fait sortir ce qui la taraude, et c’est pourquoi la musique lui sert de thérapie. Que penses-tu de son constat ?
« We give up on ourselves » (on a renoncé à prendre soin de nous-mêmes, NDLR.) Quand tu prends un pays comme le Togo, les 30 dernières années ont été douloureuses et sanglantes. Quand tu pars à l’extérieur et que tu reviens à Lomé il y a une forme de tristesse, on a tué le rêve…. Dans une société où les gens ne rêvent plus, c’est important de montrer quelqu’un qui prend son handicap et qui dit « je vais faire mon truc ». Alors ceux qui sont en bonne santé se posent des questions. C’est une leçon ! Les portes sont peut être fermées mais y’a un chemin, et ça vient des gens que tu n’attendais pas forcément…
Au Togo, ce n’est sans doute pas l’opposition ou la CEDEAO qui vont changer les choses, mais les gens simples qui portent les histoires plus compliquées de nos sociétés. On va pas mettre l’accent sur les gens qui baissent les bras… mais sur ces gens qui défient les statistiques tous les jours ! Mon travail c’est un travail pour qu’on puisse s’aimer à nouveau. Arrêtons de pleurer, malgré la situation difficile. Il y a des gens simples, souvent invisibles, mais qui portent cette société de manière très belle. Malgré nos handicaps, ils reconquièrent l’amour de nous-mêmes et qui, dans cette société dure, survivent au système tous les jours… ils ne connaissent pas le mot « résilience », mais ils portent le soleil tous les jours. Voilà ceux que j’ai envie de montrer.