Le rappeur britannique d’origine ghanéenne, Kojey Radical, sort un premier album très attendu, où cuivres funky et textes conceptuels forgent le son qu’il a baptisé « space and bass ». Interview d’un chercheur épris de ses racines.
Kojey Radical, né Kwadwo Adu Genfi, est poète dans l’âme, et cette interview en est la preuve. Menée juste avant la sortie de son premier album, Reason to Smile : on y découvre un artiste serein et très attentif à la qualité des paroles. Notre conversation est fluide, on y passe d’un sujet à l’autre de façon très naturelle, à l’image des quinze titres reliés par la voix de la narratrice, qui n’est autre que la mère de Kojey, née au Ghana. Une chose est évidente, l’album n’est pas la fin d’un processus, mais une recherche en cours, comme un appel au retour au pays maternel, le Ghana que ses parents ont abandonné, et qui plus tard est devenu la source d’inspiration musicale de l’artiste. Le contenu du disque est le résultat de nombreuses conversations avec son père et sa mère, des voyages vers leur terre natale et des sessions instrumentales avec le producteur Swindle. Autant de bonnes « raisons de sourire ».
Bien que Kojey reconnaisse avoir dans le passé douté de l’existence du chemin qui lui était réservé, l’appel du destin est bien présent désormais. Que ce soit la rencontre inattendue avec sa cousine Amaarae, aujourd’hui star au Ghana, ou la tenue de la Paris Fashion Week au moment du lancement de l’album, heureuse coïncidence pour celui qui a étudié la mode, les signes et augures ne trompent pas. Il faut dire que Kojey a patiemment peaufiné son esthétique depuis 2014 et un premier EP, Dear Daisy, avant le plus musical A Garden Party, disque qui a précédé 23 Winters – énorme succès critique pour cette mise en musique des conversations qu’il a tenues avec son père à propos de l’émigration du Ghana vers la Grande-Bretagne depuis l’indépendance en 1957 – auxquels il faut ajouter le plus récent Cashmere Tears, autre succès tout aussi populaire.
La liste a beau être longue, mais il manquait encore le format LP dans la discographie de l’artiste. C’est désormais chose faite avec ce tout nouvel album-concept, objet artistique plus complet et complexe, au son plus large et bassy que les précédents. Et s’il y a une chose qui ne change pas, c’est la présence d’artistes invités qui partagent avec Kojey le goût pour des textes spirituels et des mélodies tout sauf faciles : on citera notamment Lex Amor, Rexx Life Raj, et Ego Ella May.
PAM vous invite à vous plonger dans ce Reason to Smile, guidé par son créateur en personne.
Peux-tu nouséclairer sur le titre, Reason to Smile [en français, « Raison de sourire »] ?
C’est le titre final, qui a remplacé « Cannot Be Regret » [en français, « il ne peut pas y avoir de regrets »], une expression inspirée par Fela Kuti : il disait à propos de sa vie, que tant qu’on vit des expériences, il ne peut pas y avoir de regrets. Et je dois dire que cette phrase m’a touché, parce qu’au moment où je l’ai lue, j’étais dans une phase particulière de ma vie : les gens n’arrêtaient pas de me féliciter pour les choses que je faisais, alors que je n’y voyais moi-même aucune qualité. C’est un peu comme quand tu demandes à quelqu’un, « Comment ça va ? » mais qu’au fond tu n’attends absolument pas de réponse sincère.
C’est une sorte d’automatisme. J’ai alors réalisé que j’avais un mal fou à trouver de bonnes raisons pour célébrer mes expériences ou apprécier pleinement les choses. J’avais plutôt tendance à les voir comme la succession des éléments de la parfaite checklist du succès. Je pense que c’est la paternité qui m’a enfin ouvert les yeux. Quand tu deviens père, tu finis par te demander par qui et par quoi tu es devenu cette personne. Et la réponse était ma mère. Et à partir de là, je pense que j’ai ouvert un chemin.
Comment ta mère s’est retrouvée dans le rôle de la narratrice de l’album ?
C’est simple : j’ai fini une première version de l’album, et ma mère n’y figurait pas. Je l’ai fait écouter à mon fils, Zach, et il m’a dit, « Yo, j’adore l’album, il est mortel. Mais tu parles beaucoup de ta mère, et les invités aussi. Et à chaque fois que tu parles des leçons que tu as apprises dans la vie, tu parles de ta mère. » C’était lié à mon subconscient. Quand je pense à ces leçons de vie, à cette voix intérieure qui me guide, c’est toujours ma mère qui apparaît. Ça peut être une chose qu’elle a dite, ou un truc que je l’ai vue faire. La plus grande part de ma musique et de mon travail tourne autour du concept de force. Et plus j’entendais l’histoire de mes parents, le poids de la peur dans la décision de tout quitter pour le Royaume-Uni, tout recommencer, fonder une famille, travailler sans compter, souffrir au quotidien, plus je réalisais qu’il y avait là un niveau de courage tel que je ne serai jamais en mesure de le comprendre. Pour moi, c’est devenu le point de départ, la source de toute l’idée de force.
Àquel point es-tu inspiré par la scène musicale du Ghana ?
La scène musicale là-bas a littéralement transformé les choses pour moi ici. Je me souviens notamment y avoir rencontré ma cousine Amaarae. On s’est tout de suite hyper bien entendu et je lui ai proposé de venir au Royaume-Uni. Elle m’a aidé sur Cashmere Tears, et une fois l’EP fini, je l’ai aidée sur son disque. J’ai écrit une chanson pour elle, et donné un coup de main en général. Sad Girls Love Money est sortie en novembre, et l’année suivante, la chanson a explosé. Entre temps, elle m’a fait découvrir le mouvement Alté [la scène « alternative » au Nigéria ; NdT] et c’est pour ça que je dis qu’Amaarae a changé ma vie. La rencontrer était une chose étrange. Certaines de nos conversations m’ont mis sur la voie : elle disait qu’il suffisait d’avoir confiance en ce que tu fais et comment tu le fais. Ça a été un véritable boost de confiance. Et j’en avais sincèrement besoin à cette époque, parce que plus d’une fois, j’étais à deux doigts de tout arrêter. Mais quand ta propre famille te fait retrouver un second souffle, c’est une autre histoire.
Tu as baptisé le son de ton dernier album, « Space and Bass » – espace et basse. De quoi s’agit-il ?
La basse, c’est la base de tout. La fondation d’une chanson. C’est ce qui te fait adhérer immédiatement. Quant à l’espace, c’est l’élément indispensable pour laisser briller les paroles et les mélodies, pour que l’auditeur soit vraiment captivé. Car on a toujours tendance à en faire trop. Alors sur ce disque, on a fait en sorte que ça soit net et précis, mais que ça te touche au plus profond.
Peux-tu nous parler des artistes que tu as invités sur l’album ?
J’avais déjà collaboré de nombreuses fois avec la plupart d’entre eux, et ce depuis le début de ma carrière. Le choix était donc très facile. C’était comme un retour dans mon propre passé. Ego Ella May a participé à mon tout premier disque. Je travaille avec Shaé Universe depuis In Gods Body. Tiana Major9 et moi, on se croisait dans les mêmes open mic et à l’époque, on donnait ensemble des concerts acoustiques. Avec Rexx Life Raj, on a sorti plusieurs disques. Quant à Lex [Amor], elle est tout simplement… Comment dire ? S’il y a bien quelqu’un qui m’a profondément inspiré – ne jamais lâcher le stylo, cultiver la générosité avec mon public – c’est elle. Aussitôt que j’ai entendu « Mood », je lui ai dit, « Mais t’es qui, toi ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ? » Et à partir de là on n’a eu de cesse d’avoir des conversations très profondes. En règle générale, les gens qui sont sur l’album sont des gens avec qui je parle régulièrement, et avec lesquels je n’ai donc aucune crainte de me montrer vulnérable.
Y a-t-il autre chose que tu veuilles rajouter à propos de l’album ?
Pas vraiment. Si tu le kiffes, tant mieux. Et achetez-le, évitez les plateformes de streaming. Faites vivre la bonne musique !