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Eesah Yasuke, la samuraï qui se dresse face à l’X‑Trem

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Après un premier EP remarqué en 2021, la rappeuse dévoile un single coup de poing, en prélude à une trilogie qui fleurira au printemps. Rencontre avec une artiste aussi sensible qu’elle est manifestement engagée.

Originaire de Roubaix, installée à Lille, Isaiah grandit en écoutant MC Solaar, Hasta la vista, et beaucoup de musiques africaines, notamment du coupé-décalé et la rumba de Papa Wemba, Pepe Kalle ou Koffi Olomide. À 14 ans, elle se retrouve en foyer, écartée de la passion qui l’animait : « Je me destinais à une carrière de sprinteuse professionnelle, j’entrais en sport-études et je pense que quand ça s’est arrêté brutalement, l’écriture m’a permis de m’exprimer. » Elle se met à extirper les maux enfouis en elle pour les transformer en poèmes, mais n’imagine pas un jour les transmettre à voix haute, pas plus que son goût pour le chant : « Je chantais beaucoup, se souvient Isaiah, je reprenais notamment les sons d’Aṣa, la chanteuse nigériane. Elle m’a beaucoup accompagnée et réconfortée. » Au lycée, elle apprend les textes de Lil Wayne et les pose sur le beatbox de ses potes. Plus à l’aise pour faire des reprises de ses artistes préférés que pour bavarder, les éducateurs qui l’encadrent au foyer font des playlists (soul, rock, rap) pour communiquer avec elle.

Ses annés en foyer laissent une importante empreinte sur la jeune femme, qui choisit de se lancer à son tour dans une carrière d’éducatrice, pour redonner l’amour qu’elle a reçu. C’est sur ce chemin, alors qu’elle est encore en formation, qu’Isaiah ressent le besoin de reprendre l’écriture, touchée par les parcours de vie qu’elle côtoie. Elle pose son flow pour la première fois, par hasard, en se joignant à un batteur et un guitariste qui jouent dans un parc. Galvanisée par la magie de l’instant et l’échange direct avec le public, elle réalise qu’elle a besoin de partager ses maux en les rappant et devient Eesah Yasuke. Eesah comme un diminutif de son prénom et Yasuke, une référence au premier samouraï noir dont d’anciennes chroniques se font l’écho. Au XVIe siècle, il est arrivé au Japon depuis le Mozambique et s’est affranchi de sa condition d’esclave. Un parcours vertigineux qui fait écho à celui d’Ulysse, de l’Odyssée d’Homère, un autre modèle de patience et de persévérance qui inspire la rappeuse nouvellement née.

Crossroads Festival 2021 // Roubaix // 09.09.21 © David Tabary

Peu de temps après, Eesah Yasuke rencontre le beatmaker Chief Waxi qui produit la majorité des huit titres de son premier projet : Cadavre Exquis – en référence au jeu d’écriture surréaliste. Publié en juin 2021, cet EP montre une artiste aux rimes salvatrices, dotée d’une voix chaude et vibrante qui dégage une force tranquille. Elle rend, par exemple, hommage à la première femme devenue millionnaire par elle-même aux États-Unis, la businesswoman afro-américaine Sarah Walker. Eesah dévoile son parcours cabossé par petites touches et envoie des piques bien placées… Sur des instrus cloud, trap ou downtempo infusées à la soul ou aux mélodies oniriques, elle jongle entre egotrip, engagement et introspection avec une touche de poésie et un flow ciselé.

En parallèle, celle qui pratique également des arts martiaux (notamment le jujitsu) et la méditation remporte le Buzz Booster 2021 – un dispositif national de détection d’artistes hip hop jugés sur leur performance scénique, puis Rappeuses en Liberté – qui offre un accompagnement professionnel aux 3 lauréates. Avec ces deux victoires, Eesah Yasuke empoche plusieurs milliers d’euros pour ses projets, un contrat d’égérie chez Puma, des rencontres avec des professionnels du milieu, de la médiatisation et une grosse tournée de concerts qu’elle a reprise en février.

Elle vient de publier son premier morceau de l’année : « X-Trem ». L’énergie punk et frénétique, portée par une guitare-basse survoltée, sert bien le propos : Eesah Yasuke y fustige la montée de l’extrême droite en France. Elle en raconte les ressorts à PAM,  tout comme ceux du triptyque qu’elle sortira dans les prochaines semaines, en pleine campagne électorale. 

X-Trem

Dans « X-Trem », qui vient de sortir, on ressent beaucoup plus tes influences rock, il y a une grosse énergie, peux-tu nous en raconter la création ?

À la prod c’est AL777, c’est lui qui avait produit « Mon Ciel ». C’est marrant parce qu’on s’est croisé à Lille de manière spontanée. Il m’a dit « faut trop que je te fasse écouter une prod, je sais que tu vas kiffer ». Je l’écoute et effectivement, je lui dis « ok, je vais rentrer à la maison et faire un bail dessus ». Je trouvais ça très guerrier, ça donne envie de dire des choses. Je suis moi-même dans ce sentiment-là en ce moment,  avec tout ce qui se passe en France, sur la montée de l’extrême droite. Ensuite on l’a enregistré au studio Chambre 5 où j’avais une session grâce au concours Rappeuses en liberté que j’avais gagné. J’avais un autre single de prévu, mais « X-Trem » est tombé à ce moment-là et c’est devenu la priorité. J’ai eu un sentiment d’urgence que beaucoup d’autres ont face à ce qu’il se passe en France. Après l’enregistrement, on l’a rebossé de notre côté avec un studio suisse qui s’appelle AKA Studio avec Thomas Gloor et Rezzo808. Deux ingénieurs son qui ont fait plus que du mixage en ajoutant des casseroles et pleins de choses pour rendre le morceau encore plus énervé. Je sais même pas combien de versions il y a eues avant qu’on arrive à un résultat où on se dit « oui, c’est ça ». Dans toute la réalisation, ce qui était important pour moi c’est que ça parle même à la personne qui va mixer/masteriser. On est obligés d’avoir la même position, sinon ça fonctionne pas.

Dans « X-Trem », tu abordes la montée de l’extrême droite, comment perçois-tu cette tendance?

C’est fatigant, c’est consternant. Ce qui m’interroge, c’est à quel point les médias peuvent donner autant de crédits à des discours aussi mortifères pour notre société. Et c’est pour ça que je me suis exprimée de manière artistique sur ce morceau-là. Je suis forcément consternée, touchée. J’ai grandi ici, de voir cette montée de l’extrême droite qui se banalise, qui est reprise par des petits jeunes qui sont encore en développement et qui ont déjà un discours hyper fermé… ça fait peur.

Plein de projets pour moi et mes semblables, dans la manif on fait plus que les 100 pas
C’est pas d’la danse, c’est juste qu’il s’appelle Samba
Calé dans le cortège avec toutes les sans pap

« X-Trem »

Dans le texte, tu évoques les manifs : tu as l’habitude de manifester ?

Régulièrement, dès que je peux en tout cas. Mes premières manifestations je crois que c’était à l’époque du lycée. Mais à ce moment-là je savais pas pourquoi je manifestais, je suivais juste le groupe. Après, celle qui me vient tout de suite, c’était une marche blanche en hommage à Selom et Mathis, deux jeunes hommes de mon secteur happés par un train après un contrôle policier. Ça rappelle évidemment la triste histoire de Zied et Bouna… Il y a Assa Traoré qui est venue d’ailleurs.

Est-ce qu’il y a une manifestation qui t’a particulièrement marquée ?

 Il y a la manifestation des sans-papiers à laquelle je fais référence dans « X-Trem » et aussi celle pour George Floyd. Il y avait énormément de monde. Ça a mobilisé beaucoup de jeunes, ce que je ne vois pas forcément d’habitude. Je dis pas que les jeunes manifestent pas, mais là il y en avait énormément, de tout bord, des quartiers etc. Et ça faisait plaisir aussi de voir ça. On était tous émus, c’était palpable et c’était pacifique … ça ne nous a pas empêché de nous faire lacrymogéniser le visage…

Qu’est-ce qu’ils imaginent ? Bien sûr qu’dans nos têtes c’est la manif
Vu les eaux dans lesquelles ils naviguent, ils s’étonnent que c’est le feu qui nous anime

« X-Trem »

Depuis quand, “c’est le feu qui [t’]animes” ?

Depuis toujours. J’ai connu les injustices liés à la carnation de ma peau depuis très jeune. Donc je pense que depuis toujours. Maintenant j’ai cette bénédiction de pouvoir y mettre des mots, c’est une chance de pouvoir l’exulter et de se dire:  « ok, c’est sorti ».

Mon Ciel

Après ce single, tu as prévu de sortir un triptyque qui démarrera en avril. Comment as-tu eu cette idée, et quelle forme prendra-t-il? 

 Le projet se lit, s’entend et se voit à la manière d’un triptyque. Il y a une suite à chaque fois. Je peux pas parler de continuité avec « Mon Ciel » mais j’avais envie de rester dans l’idée d’œuvre d’art. Tout en abordant des thèmes différemment, de manière plus approfondie et mature. Avant que « X-Trem » existe, je n’avais pas forcément abordé le racisme de manière aussi coup de poing que ce que j’ai pu faire dans un des morceaux du triptyque.

On ressent aussi tes influences rock dans les trois morceaux, comment s’est passée la composition ?

C’est intégralement produit par Chief Waxi et j’avais envie que ce soit plus organique. On a eu la possibilité de bosser avec des musiciens, du coup il y a un solo de batterie interprété par Pierre Kastler et sur les trois morceaux on retrouve le guitariste Dysto.

Est-ce que par la suite tu prévois d’explorer tes influences rumba dans ta musique ?

J’aimerais trop ! C’est tellement quelque chose qui me tient à coeur. J’ai envie de voyager, rencontrer et de le faire vraiment à la locale. J’ai envie de faire beaucoup de choses autour des musiques africaines qui m’ont influencées. En ce moment, je sens ce besoin là.

Tu enchaînes les concerts en ce moment, est-ce que t’as un petit rituel avant de monter sur scène ?

Avant une scène, j’aime beaucoup le calme. Je suis avec DJ Asfalte, on est très posés. Je médite toujours avant. Je fais mon échauffement vocal, un peu de pompe, un peu de sport et après on a notre traditionnelle tisane au miel, gingembre et voilà.

Retrouvez Cadavre Exquis, ainsi que le nouveau morceau d’Eesah Yasuke, « X-Trem » sur toutes les plateformes. Et foncez admirer sa force tranquille sur une des dates de sa tournée. 

Au printemps prochain, Eesah Yasuke sera également au centre d’un des épisodes de la collection PAM Off the MAP, réalisé par Narjes Bahhar et diffusé sur la chaîne Youtube de PAM.

Source www.pan-african-music.com

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