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FEMUA 13 : la musique, remède à la pandémie ?

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Le FEMUA, 13e édition, s’est achevé dans la nuit de dimanche à lundi. Retour sur le come back d’un des plus grands rendez-vous musicaux d’Afrique francophone, qui met la musique au service du social, et des grandes causes nationales.

 Prouvez au monde que la culture et le covid peuvent coexister », lançait A’salfo, chanteur lead des Magic System et patron du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo, lors de son discours d’inauguration. Une phrase qui sonnait comme une revanche, tant la Covid avait gâté la fête en 2020, au point d’obliger par deux fois les organisateurs à reporter sa treizième édition. L’enjeu était de taille, pour un évènement devenu avec les années l’un des plus importants de toute l’Afrique francophone. Avec trois nuits de concerts à Abidjan, et une dernière dans la ville côtière de Grand-Bassam, le festival a réussi son pari, et montré qu’il était toujours là, envers et contre tous les virus. 

Anticovidiquement correct 

Bien sûr, il s’agissait d’offrir de la joie, autant dire un remède en soi. Mais il fallait endosser la responsabilité de réunir plusieurs milliers de jeunes en cette période où la pandémie a repris de la vigueur en Côte d’Ivoire, comme dans d’autres pays du continent. Dès l’entrée (gratuite, rappelons-le), les policiers en charge de la sécurité du site distribuaient un masque à chacun, après qu’un gang de laveurs de mains eurent donné à tous du gel, avant de passer enfin sous un portique désinfectant. Les bases étaient là, même si les « cache-nez » — comme on les appelle en Côte d’Ivoire, sont rapidement devenus, à mesure que l’ambiance des concerts montait, des « cache-menton ».

Surtout, le festival qui s’est fait une spécialité de tirer parti de la musique pour faire passer des messages et conscientiser la jeunesse, proposait cette année aux spectateurs majeurs de profiter de leur présence pour se faire vacciner, gratuitement évidemment. Une première, dont A’salfo voudrait faire un exemple : « tout rassemblement doit être une occasion pour promouvoir la vaccination », martelait-il en invitant tous les jeunes Ivoiriens à se faire vacciner. Preuve que l’idée était bonne : d’après les organisateurs, en moins de cinq jours, ce sont 5000 personnes qui ont reçu leur première injection. Ceci posé, l’ensemble de ce dispositif n’empêcha en rien la fluidité d’un festival dont il faut, encore une fois, saluer la bonne organisation. Place à la joie donc, et que les concerts commencent. 

© Chekier
La pluie mouille, mais ne tache pas Ariel

Certes, il y avait eu deux soirées organisées dans l’auditorium de l’Institut français d’Abidjan, histoire de s’échauffer (surtout lors de la soirée sénégalaise). Mais c’est jeudi 9 septembre que s’ouvraient les grand-messes sur stade du complexe sportif INJS. De ce côté, Ariel Sheney était attendu sur la grande scène tel un archbishop du coupé-décalé. Le protégé de feu DJ Arafat avait fait exploser les compteurs en 2019 avec son tube « Amina », et fait la même année une apparition remarquée sur la petite scène du FEMUA dédiée aux talents émergents. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’émergence, pour Sheney, n’est pas qu’un slogan : il suffit d’en juger par son show survolté, associant à l’orchestre six danseurs rompus à toutes les acrobaties, dans la droite ligne des adeptes du roukaskas. Côté musique, le trentenaire a réussi le pari de reprendre ses titres en les dotant de nouveaux arrangements pour qu’ils puissent s’épanouir sur scène. Et si certains morceaux façon ballade sentimentale ne resteront pas forcément à la postérité, les morceaux de danse ont pris de l’ampleur joués en live. Ariel Sheney montrait au passage ses dispositions pour la keytar (un clavier en forme de guitare), s’élançant dans un long solo débridé, pas loin de flirter avec le jazz. La veille, PAM avait pu assister à ses répétitions dans le nord de la ville, et comprendre combien ce premier grand concert dans cette nouvelle configuration comptait pour lui. Pari réussi, pour cette déjà star ivoirienne qui cherche à déployer ses ailes au-delà de l’Afrique de l’Ouest. La pluie, qui s’est invitée au concert, n’a pas découragé les fans qui ont continué à s’enjailler, même trempés. Soum Bill, qui prenait la suite, n’eut plus qu’à les achever. Ce qu’il fit avec le talent qu’on lui connaît.

Ariel Sheney sur la grande scène du FEMUA (© Chekier)
Du mbalakh au zouglou, du son pour tous les goûts

Le Sénégal, pays invité d’honneur (une tradition inaugurée en 2019 par le FEMUA, qui célébrait cette année-là le Burkina), était représenté par une sérieuse délégation, avec à sa tête le ministre de la Culture Abdoulaye Diop et en porte-drapeau, le chanteur Pape Diouf qui fit un malheur sur la grande scène le vendredi. C’est habillé en adapte de la confrérie mouride, dont le grand pèlerinage — le Magal — aura lieu à la fin de septembre, que le prince du mbalakh a fait son entrée, installant d’emblée un rythme trépidant qu’il n’allait plus lâcher, pied au plancher. Et si l’on déplore bien souvent, au Sénégal, la capacité de la musique nationale à s’exporter, force est de constater que le mbalakh a des fans en Côte d’Ivoire, et pas seulement chez les Sénégalais expatriés. Pape Diouf, poussé par son gang de musiciens et de danseurs plus talentueux les uns que les autres, a été impeccable. Celui qui avait dû se cacher de son père lorsqu’il débutait, et qui aurait dû devenir plombier, a même eu le temps de répondre au questionnaire express de PAM. Dieuredieuf ! 

Il fallait avoir l’énergie et le talent des Magic Diezel pour relever le gant et continuer de faire danser les gens. Là encore, les danseurs et danseuses du groupe n’y sont pas étrangers, mais le duo formé en 2013 par les deux chanteurs Tim et Sawako est le noyau dur et la clef de ce groupe dont l’histoire a commencé en 2013 à San Pedro, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. C’est d’ailleurs en grandissant dans cette région que Sawako a appris les chants et les rythmes traditionnels de la région, aloukou et gbêgbê. De quoi donner une couleur bien tranchée au zouglou que voulait faire Tim, qui a fait ses classes dans les pianos-bars. On ressent d’ailleurs ces diverses influences dans la musique des Magic Diezel, qui emprunte largement au coupé-décalé, que le zouglou invite désormais souvent. Résultat, avec ses titres « Je vais à Gagnoa » ou la plus récente reprise du « Gnonmi avec Lait » de Fior 2 Bior, les deux compères ont fait un bon petit carton, réitéré à Bassam deux jours plus tard.

Magic Diezel sur la grande scène du FEMUA (photo FEMUA)
Kajeem rit, Koffi crisse

Avec 13 pays invités, le FEMUA a encore montré ses griffes internationales, avec cette année une participation plus marquée des artistes européens. La rappeuse espagnole Mala Rodriguez par exemple, a fait sensation avec son show bien rodé –et ses danseuses survitaminées. Son show, et sa tenue olé olé – qui n’était pas sans rappeler celle des danseuses du crazy horse, en version plus nerveuse et offensive, aura – d’après notre sondage pas du tout représentatif- davantage séduit les hommes que les femmes. Le Français Vegedream (dont les racines sont ivoiriennes) aura lui aussi fait un tabac, et son concert fut sans aucun doute le point culminant de la fréquentation publique, samedi 11 septembre. Au cours de cette longue nuit, qui aura vu la Congolaise Céline Banza inviter sur scène le rappeur Youssoupha (qui est aussi son producteur, installé à Abidjan), l’Ivoirienne Mathey et son compatriote Kajeem ou la Camerounaise Daphne, les changements de plateau s’enchaînent et, comme souvent, on prend du retard. Koffi Olomidé, alias le grand « Mopao », « Benoit XVI », « Sarkozy », ou encore « la Chicotte à Papa » devait monter sur scène à quatre heures. Deux heures plus tard, la scène s’ouvrait à lui, alors que le jour commençait à poindre. Fâché d’avoir tant attendu, et de ne jouer que pour les irréductibles qui étaient encore là après une nuit d’ambiance, Olomidé n’aura joué que trois morceaux, moins de 20 minutes, avant de faire demi-tour et de s’en aller, frustrant, et ce n’était pas la première fois, les fans abidjanais. Pour des raisons d’ego (mais le chanteur n’est peut-être plus que cela, un ego), il n’aura ni su se fondre dans l’esprit de ce festival généreux, ni même savourer la magie de jouer à cette heure où le jour chasse la nuit, devant des corps transis et heureux. Ce qu’avaient fait avec maestria Sidiki Diabaté ou encore Roga Roga, transformant leur concert des moments inoubliables. 

Kajeem sur la grande scène (photo FEMUA)

Autant alors parler de Kajeem, qui aura lui régalé le public à Abidjan, mais aussi à Grand-Bassam avec son reggae bien rodé, ses musiciens chevronnés, son flow et ses textes aussi conscients qu’intelligents. C’est sans doute lui qui le mieux, parce qu’il est de cette étoffe, aura promu les valeurs que revendiquait le FEMUA. Plus que tous les autres, il aura su, dosant le volume de son band, prendre la parole pour s’adresser directement à la jeunesse : parlant de lui et de ses choix, de la vaccination, de l’immigration clandestine, du devoir de se prendre en charge et de persévérer… Un message entendu par les jeunes de Grand-Bassam, qui en cette veille de rentrée scolaire, auront eu tout à la fois de quoi s’enjailler, et méditer. 

Valeurs communes

Dimanche soir, alors qu’on s’apprêtait à ouvrir le bal à Grand Bassam, A’salfo faisait le bilan de cette 13ème édition, épuisé mais… content. « Le FEMUA, expliquait-il, est un événement sur lequel beaucoup d’autres évènements se calquent. Il y en a qui se disent, au-delà même de nos frontières : si le FEMUA a lieu, on a espoir nous aussi de pouvoir faire notre évènement. Et puis, en proposant sur place la vaccination, c’était aussi montrer que la culture était une aubaine pour lutter contre la pandémie, plutôt qu’un obstacle». Le FEMUA pour lutter contre le corona, voilà une perspective nouvelle que personne n’avait expérimentée. Mais ce festival pas comme les autres est coutumier du fait, lui qui met la musique et l’enjaillement au service de l’éducation et de la formation du citoyen. 

Les « carrefours jeunesse », cette année encore, ont permis de parler en détail d’emploi, de recherche de stage, de création d’entreprise (certains, raconte A’salfo, y ont même trouvé des embauches ou des stages). Car c’est bien le manque de perspectives qui jette tant de jeunes dans les sables du Sahara ou les vagues de la Méditerranée, rappelle le commissaire général : « Il faut dire aux jeunes ça va arriver un jour, concentrez-vous sur ce que vous avez à faire, faites de l’entrepreneuriat : au lieu de donner 3 millions pour payer un passeur, on peut avec cet argent créer une entreprise, s’en sortir, et aller demain en France à ses propre frais. ». 

Le FEMUA à Grand-Bassam (photo V. Cagnolari)

Le festival, dont l’Union européenne était cette année un partenaire majeur (et donc un contributeur financier), avait pour thème : Alliance Afrique-Europe, Paix et développement. Mais de quel genre d’alliance s’agit-il quand les poids politiques, et surtout économiques, de l’un et l’autre continent sont aussi inégaux ? Le FEMUA deviendrait-il une caisse de résonnance du soft power et de l’influence européenne ? A’salfo s’en défend : « Je ne viens pas jouer les haut-parleurs de l’UE, je viens passer mon message qui peut être un message commun avec celui de l’UE, mais en même temps je leur demanderais : si vous voulez que les jeunes restent ici, au lieu d’investir sur la fermeture des frontières investissez sur des projets qui leur permettent de se prendre en charge et de rester là. Quand je chante « si on n’est pas mort un jour on va tous partir à Paris », c’est donner de l’espoir à ceux qui croient qu’ils n’iront jamais à Paris ». On retrouve d’ailleurs cette thématique dans « Voyager », l’un des titres d’Envolée zougloutique, le dernier album des Magiciens, paru en avril dernier. Et d’en rajouter une couche, à l’intention des dirigeants africains : « Qu’est-ce qui fait qu’on a envie de partir ? Il faut qu’on résolve le problème à la source. Est-ce que nos dirigeants nous donnent les outils nécessaires pour nous donner envie de rester ? Que nos gouvernements nous permettent d’être dans cette catégorie de personnes qui partent en vacances et vont faire des photos à la tour Eiffel et reviennent ». Sensibiliser la jeunesse, les dirigeants d’Afrique et d’Europe… qui mieux que les magiciens — qui ont construit leur succès en Côte d’Ivoire avant d’exploser en France puis de s’investir dans leur pays d’origine — pouvait le faire ?

Et puis, comme pour voyager, il faut un pass sanitaire, alors autant se faire vacciner. La boucle est bouclée. 

Source www.pan-african-music.com

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