Avec son premier album intitulé Maouland et un clip tourné à Dubaï, Kayawoto a fait une entrée très remarquée dans le rap burkinabè. À 26 ans, le jeune rappeur compte bien donner un second souffle à ce genre musical noyé par le coupé décalé ivoirien et l’afrobeats nigérian.
Ce n’est pas anodin si son premier album est intitulé Maouland. Avec ce concept, Kayawoto s’est construit sa communauté, ou mieux : son empire imaginaire. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec la « Chine » de l’Ivoirien DJ Arafat qui avait fédéré autour de lui des fans qu’il avait surnommés les « Chinois », et dont il était le chef suprême. Au départ, le mot « Maou » était pour Kayawoto un cri de guerre, une sorte de signature qu’on entend dans toutes ses chansons, bientôt reprise par ses admirateurs. Cette idée a évolué pour devenir un royaume fictif aujourd’hui acté par la sortie de son tout premier opus, Maouland, comme pour marquer son territoire dans le milieu du rap. « Pour moi chaque artiste doit avoir son empire qui est son identité. Il doit trouver un nom pour ses fans. Moi j’ai choisi Maouland, un pays que j’ai inventé pour mes fans que j’appelle les Maoulandais. Maou veut dire un homme qui se bat, un guerrier, c’est ça l’esprit de la Maouland » revendique Kayawoto. « Les habitants de la Maouland sont ceux qui adhèrent totalement à sa manière de rapper et aux messages qu’il véhicule », soutient son producteur San Rémy Traoré qui est aussi le fondateur de Propulsion Prod, la structure qui a découvert le jeune talent. Pourtant les choses auraient pu se dérouler autrement, n’eût été la ténacité de l’artiste. Autour de lui, sa mère était l’une des rares personnes à croire en lui : « J’avais la confiance de ma mère. C’est la seule qui m’a soutenu dès le départ. Je me souviens qu’un jour, une voisine lui a demandé pourquoi son fils voulait faire du rap : est-ce qu’il était capable de faire de la musique ? Il devrait (plutôt) aller chercher du travail. Ma mère a répondu que si les autres artistes qui chantent n’avaient pas de cornes, c’est qu’ils étaient humains comme mon fils. Si eux ils y étaient arrivés, mon fils aussi le pouvait. Elle est très fière de moi aujourd’hui ».
Ainsi naquit Kayawoto
L’histoire familiale de Kayawoto est similaire à celle de bon nombre de Burkinabés, liée à l’immigration en Côte d’Ivoire, son pays de naissance. Quand ses parents se séparent, sa mère s’installe au Burkina Faso en 2008 pour élever ses enfants. Les études du jeune Abdoul sont chamboulées et il finit par abandonner l’école à l’âge de 12 ans. L’aventure l’appelle. Il parcourt le Ghana et et Togo en travaillant dans la restauration, la mécanique et l’orpaillage afin d’aider sa mère. Le freestyle est son passe-temps, car il a grandi au moment où le mouvement hip-hop s’emparait du Burkina Faso. Les refrains des groupes burkinabè Yeleen, Faso Kombat, du Malien Iba One ou encore des Français La Fouine et Booba donnaient le tempo à ses mots d’adolescent. Il fait des battles avec d’autres jeunes pour montrer son phrasé dynamique. Abdoul Kaboré devient ainsi Kayawoto. Un nom emprunt d’une signification affective. « C’est mon grand-père qui m’a inspiré ce nom d’artiste. Il accueillait beaucoup de gens chez lui. Il aimait les étrangers. Il était toujours prêt à montrer son hospitalité à celui qui lui rendait visite. Et quand on lui demandait pourquoi il était aussi généreux envers tout le monde, il répondait tout simplement : “ici c’est comme ça, ka ya woto”. Donc j’ai adopté cette expression comme nom de scène », explique-t-il.
Du sang neuf de Ouaga, au s’en fout de Dubaï
Sa carrière commence véritablement il y a trois ans, quand il participe à un casting pour figurer sur une compilation intitulée hip-hop, Sang neuf, qui réunit les meilleurs jeunes rappeurs du Burkina. Une initiative lancée par Propulsion Prod, qui produira plus tard son album. San Rémy Traoré se souvient de son enthousiasme en découvrant le potentiel du jeune homme « Il a été le dernier arrivé sur la liste de la compilation, mais pendant le casting, dès les premiers freestyles, nous avons compris que c’est l’artiste qu’il nous fallait sur le projet », précise le producteur. Dans un flow énergique et parfois agressif, le rappeur propose alors deux titres, « Wagdré » et « Taabi Yonsé » qui signent son entrée sur la scène musicale burkinabè. Le clip se hisse dans le Top 10 des chansons les plus appréciées sur Trace TV aux côtés d’autres grands noms du rap africain.
Après cette première collaboration réussie, San Rémy ne veut plus s’en séparer. « C’est surtout son courage et son abnégation pour le travail bien fait qui m’ont attiré. » C’est ainsi qu’est né, deux ans plus tard, l’album Maouland, accompagné d’un clip tourné, excusez du peu mesdames et messieurs, chèr.e.s Maoulandais et Maoulandaises… à Dubaï ! Une première pour un rappeur burkinabè. Cela a suffi pour affoler les réseaux sociaux du Faso. Propulsion Prod a opté pour la stratégie du compte-gouttes, en laissant échapper petit à petit des indices et informations quelques jours avant la sortie officielle de l’album. Ce qui s’est avéré payant.
Dans la vidéo, l’artiste joue avec les codes même de ce qu’il dénonce dans ses chansons : à savoir l’opulence, le bling-bling, la malhonnêteté… tout en encourageant la jeunesse à travailler dur pour mériter tout ce luxe. En plus du lieu de tournage, l’esthétique du clip est tout aussi surprenante. Des filles en bikini se trémoussant sur un yacht ou dansant autour de l’artiste à côté d’une Ferrari jaune pétante, des bouteilles de champagne, des sacoches remplies de billets de banque…. Toute la panoplie des clichés propres aux clips des rappeurs américains des années 50 Cent et Snoop Dog ou encore de l’ère des « faroteurs » du coupé décalé. « Avec le clip de “Toongo”, qui veut dire “avoir les moyens”, l’idée pour nous était de rompre avec le déjà-vu et de faire rêver la jeunesse. Dubaï est avant tout la capitale du luxe donc c’était le cadre qui répondait le mieux à nos attentes parce que le message que nous voulions faire passer est qu’il faut travailler honnêtement pour obtenir ce luxe », justifie San Rémy Traoré. Pour réaliser ce clip, l’équipe a dû s’appuyer sur des connaissances dans le pays et demander les autorisations qu’il faut auprès des autorités locales. Une expérience enrichissante pour Kayawoto. « Grâce à ce tournage, j’ai découvert une autre culture, j’étais fier d’y être et même s’il y avait la barrière de la langue, nous avons tourné dans une bonne ambiance », se réjouit-il. Par contre l’artiste reste discret quant au budget de cette réalisation qui a forcément nécessité d’énormes moyens financiers. Entre le repérage et la réservation des lieux de tournage, la location du yacht, l’hôtel, les figurants, les costumes, les billets d’avion, la facture peut rapidement grimper. « Je ne sais franchement pas combien nous avons dépensé pour le clip. C’est comme des vêtements que tu t’achètes toute l’année, à un moment donné tu ne peux pas tout calculer. »
Allier la old school et la nouvelle génération
Le hip-hop et le rap ont connu leur apogée au Burkina Faso dans les années 2000 avec de grands noms comme Smockey, Basic soul, et des groupes comme 2Kas, Clepto Gang, Sofaa, Faso Kombat, La Censure, Yeleen, etc. En y introduisant la langue mooré parlée par la plupart des Burkinabè, ils ont su populariser le rap et surtout le débarrasser des préjugés qui lui collent à la peau, à savoir la violence et la délinquance. Avec l’avènement du coupé décalé dans les mêmes années 2000, le rap burkinabè a perdu de la vitesse, même si les figures de proue, notamment Smockey et Smarty de l’ex-groupe Yeleen continuent de tenir la barre.
Aujourd’hui, une nouvelle génération de rappeurs à l’image de Kayawoto est en train de naître. Ce dernier a très vite compris que sa force réside dans sa capacité à rapper aisément en mooré sur des thèmes concernant la jeunesse. Il n’a pas hésité à inviter l’ancienne génération sur son album. C’est ainsi qu’on retrouve un featuring avec Smockey sur le titre « Ayo ». Sur un ton hardcore et dans « un rap authentique en mooré » comme le souligne San Rémy Traoré, le passé et le futur du rap du pays des hommes et femmes intègres se retrouvent dans le présent pour -qui sait ?- un passage de flambeau. Kayawoto ne cache pas sa satisfaction. « C’est un grand frère qui m’a beaucoup inspiré. Depuis mon enfance je rêvais même de le voir physiquement, j’écoutais ses morceaux, aujourd’hui je suis très content d’avoir pu chanter avec lui. Ce duo signifie que le rap n’est pas mort, il est en train de revenir en puissance », affirme celui qui se voit comme le porte flambeau des nouvelles pépites du rap au Faso. « Les grands frères ont tracé le chemin, ils ont beaucoup bataillé pour le rap burkinabè, à nous de poursuivre », ajoute-t-il.
Cette nouvelle génération arrivera-t-elle à repositionner Ouagadougou comme une des capitales du rap ouest-africain et raviver le goût des Burkinabè pour ce style musical comme l’ont fait leurs aînés ? La tâche ne sera pas facile puisque la scène musicale est largement dominée de nos jours par l’afrobeats nigérian et ses nombreuses stars Wizkid, Burna Boy, Tiwa Savage, Yemi Aladé, Flavour, Chidinma. Ce sont les rois et reines de notre époque sur le continent africain. Mais le rap du Faso n’a peut-être pas dit son dernier mot. Kaya wo to !
Retrouvez Kayawoto dans notre playlist Songs of the Week sur Spotify et Deezer.