Praefatio, c’est le titre en latin du premier album de Céline Banza sorti en janvier dernier. Une préface à sa jeune carrière d’artiste, et à son parcours de femme engagée paru sur Bomayé Musik Africa, le label de Youssoupha qui lui donne la réplique sur le titre « Départ ».
Avec ce premier album, Céline Banza entend faire partie de la jeune génération d’artistes africains qui comptent. Elle s’est révélée au grand public comme lauréate du prix Découverte RFI 2019. Mais avant ce coup de projecteur, Céline Banza avait fait un passage dans l’émission de télé-crochet The Voice Afrique francophone en 2017, sans y faire de vieux os. Éliminée du concours, la jeune artiste ne baisse pas les bras et met en pratique les conseils d’Asalfo du groupe Magic System, qui était son coach dans l’émission. Tout en continuant ses études, elle s’entoure de musiciens pour travailler ses chansons et se construit un répertoire.
Un album puisé dans son enfance difficile
Née à Kinshasa en République Démocratique du Congo (RDC) en 1997, elle s’est très vite affranchie du carcan familial, après le décès de ses parents pour vivre sa passion, non sans difficulté. Elle se retrouve dans la rue, avec sa petite sœur, toutes les deux accusées de sorcellerie. Cette période de sa vie transparaît dans l’album Praefatio. « Les messages de mes chansons, c’est surtout les réalités de ma propre vie et aussi les réalités de toutes ces personnes qui m’entourent. Cet album, c’est vraiment mon histoire à moi et quelques histoires que j’ai pu voir autour de moi et qui m’ont touchée et inspirée » confie-t-elle. La musique est devenue sa bouée de sauvetage grâce au studio Kabako à Kisangani (la compagnie fondée par le chorégraphe Faustin Linyekula, NDLR) où le directeur technique Antoine Dongala la prend sous son aile. En marge de sa scolarité, elle y fait ses premiers pas de choriste auprès de plusieurs artistes rappeurs. Plongée dans cet univers culturel, elle croise le chemin des gens du milieu qui vont l’épauler jusqu’à son premier spectacle en 2013 à l’alliance française de Kisangani. C’est la révélation. Elle n’a que seize ans, mais sait que son avenir, c’est la musique… ou rien ! Comme une prémonition, avant ses dix ans, son père lui avait offert sa première guitare pour l’encourager. À cet âge, elle pensait déjà à la scène et parlait musique avec lui. « Mon père était le seul à vouloir que je fasse de la musique. Quand il est décédé, sa famille n’a pas accepté ce choix ». Cette petite guitare qu’elle garde précieusement depuis des années est devenue sa force et elle y trouve du réconfort. Ce père, Céline Banza lui dédie le titre «Mbi ndo yemo ». « Dans cette chanson, je dis : papa regarde moi, j’ai cette guitare. Celle que tu m’as donnée il y a plus de quinze ans est bien petite aujourd’hui. J’aimerais bien enlever le doute que j’ai, j’aimerais bien enlever la peur que j’ai à chaque fois que je monte sur scène. Je ne te vois pas, mais je me dis que tu es dans ce public qui m’encourage, qui chante mes chansons et qui danse avec moi. Dans le refrain je dis : à jamais, papa, je t’aimerai ».
Une identité riche et multiple comme le Congo
Son Baccalauréat en poche, elle s’inscrit à l’Institut national des Arts (INA) à Kinshasa et choisit la guitare comme instrument de prédilection. Elle apprend à parfaire son timbre de voix tout en approfondissant sa culture musicale. Bien que le Lingala soit l’une des langues les plus parlées et l’une des plus connues de la RDC, Céline Banza a choisi de chanter dans sa langue maternelle, le Ngbandi, afin d’affirmer son identité. Un choix guidé par ses études en ethnomusicologie qui lui ont donné les clés de compréhension de la musique en elle-même, mais aussi le goût d’apprendre la musique dans son contexte socioculturel : « J’ai pris du plaisir, j’étais éblouie de voir que nos langues sont belles, et j’ai beaucoup aimé les mettre dans les notes musicales. Une façon pour moi de montrer qui je suis, de montrer ma culture » dit-elle avec fierté. Elle suit ainsi les traces de grandes chanteuses congolaises qu’elle admire et qui ont ouvert la voie de la musique aux femmes en RDC. Des artistes comme Abeti Masikini, ou encore Tshala Muana qui a fait du Tshiluba — sa langue maternelle, la langue de sa musique. Oui, Céline Banza ne refoule pas son africanité et elle n’oublie pas ses racines même si elle est tout aussi capable de donner de la voix en français qu’en anglais. Quand elle évoque la gratitude envers la vie et la perte d’êtres chers dans « Mbi ndo yemo » et « Mbi gwe », Céline Banza chante en Ngbandi. Quand elle interroge l’amour dans « Is it love » et quand elle fait appel à la pluie dans « Rain » pour apaiser les cœurs, elle le fait en anglais. Entre mélancolie et espoir, la jeune star montante de la musique congolaise vous transporte avec sa voix douce et sa guitare. Un style qui n’est pas sans rappeler ses aînés et sources d’inspirations : Richard Bona et surtout, Lokua Kanza.
Toucher à tout, et plaider la cause des femmes
Cette figure émergente de la musique africaine a plusieurs cordes à son arc. Tout en gardant un œil sur la musique, la jeune femme s’essaie dans d’autres disciplines artistiques comme le théâtre et le cinéma. C’est ainsi qu’on la retrouve en 2017 dans le premier rôle du court métrage Tamuzi du chorégraphe Faustin Linyekula, un film inspiré de sa vie. Elle participe également à l’exposition « Kinshasa 2050 : les femmes d’abord » une initiative mettant à l’honneur les créations de 7 femmes. On y découvre une autre facette de Céline Banza qui explore les arts sonores et visuels dans une installation et une vidéo performance qui invitent à un voyage dans l’espace pour questionner son avenir en tant que femme, et celui de son pays. À 24 ans, Céline Banza est musicienne, vidéaste, auteure-compositrice et interprète. Cette pluralité des formes d’art est mise au service de thématiques qui lui sont chères, au premier rang desquelles la situation des femmes de son pays.
Durant ses études à l’INA, elle est révoltée par la vie que mènent les étudiantes dans sa cité universitaire du quartier Paka Djuma dans la commune de Lingwala (Kinshasa). La jeune étudiante trouve que ses camarades ne se valorisent pas assez en tant que femmes et surtout, qu’elles manquent d’ambition alors qu’elles ont l’opportunité de faire des études. « Quand j’étudiais à l’université, les filles me surprenaient beaucoup. Négativement bien sûr. Quand on rentrait des cours le soir, pour elles c’était se maquiller, sortir ou attendre le prince charmant qui viendra les épouser et leur offrir une vie de femmes au foyer », s’indigne-t-elle. C’est en partie de ce constat qu’est né son titre à succès « Te rembi », qui veut dire « mon corps ».
« La chanson, elle parle du corps de la femme comme la limite à laquelle les hommes s’arrêtent, une limite que les femmes elles-mêmes ont parfois du mal à dépasser. L’histoire de « Te rembi » vient aussi d’une pièce de théâtre intitulée « Trois femmes en colère » , dans laquelle j’ai joué. Le metteur en scène m’avait demandé de composer une chanson pour cette pièce pour exprimer toute la colère de ces femmes qui veulent se venger de tout ce qu’elles subissent, pour dire qu’elles ont le droit au bonheur, le droit d’être ambitieuses. « Te rembi », c’était aussi une remise en question, un cri de colère », précise-t-elle. Par ailleurs, elle juge « triste » la situation des femmes en RDC du fait de l’interminable guerre dans l’est du pays où le viol des femmes est devenu une arme de guerre. Céline Banza salue d’ailleurs le travail du Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018 : « j’aime on engagement, explique-t-elle, j’aime son combat. Il fait beaucoup pour les femmes et les jeunes filles de l’est de mon pays. » C’est forte de son histoire personnelle et de sa force de caractère qu’elle est nommée ambassadrice de l’Unicef en 2020. Une responsabilité qu’elle met à profit afin de sensibiliser sur certains sujets qui lui tiennent à cœur comme l’éducation des filles, les mariages précoces, ou les abandons d’enfants dans les rues. Au-delà des mots, Céline Banza parcourt le pays pour discuter avec ses compatriotes sur ces questions et inciter les jeunes filles à travailler à être autonomes sur le plan socioéconomique. Un engagement qu’elle n’hésite pas à partager avec ses fans sur les réseaux sociaux.« C’est une expérience qui me fait grandir, ça me donne le courage de continuer ce combat, de continuer d’en parler dans mes chansons, ce sont des problématiques qui touchent les jeunes », conclut la native de Kinshasa avec sa voix de velours et son moral d’acier.