Ce collectif parisien est à l’image de la jeunesse touche-à-tout qui vit dans les métropoles africaines et occidentales, et considère la musique comme un espace sans frontières. Portait de groupe.
Basés à Paris, les trois DJs réunis sous le nom de Collectif DAWA (« désordre » en arabe) sont, depuis 2017, les ambassadeurs de soirées où les espaces sonores, hybrides, traversent « l’Atlantique noir », territoire résultant d’un merveilleux big-bang diasporique – et brassent un public que l’on aurait vite fait d’estampiller d’inclusif et de métissé. Une fois derrière les platines, Diyou, 34 ans, Nek London, 33 ans, et Ata, 31 ans, en arrivent à créer un kaléidoscope musical, un ensemble de collages qui témoignent de leurs propres itinéraires. L’histoire du collectif commence d’abord à deux. Diyou et Nek London partagent les bancs de la même faculté en 2007. Lors d’un festival organisé entre les quatre murs de l’université, ils installent leurs propres platines dans le hall, alors même qu’ils ne sont pas programmés. «Il y a eu une synergie plutôt incroyable entre nous au cours de ce DJ set sauvage qui a rencontré un franc succès », se souviennent les deux DJs.
Entre organique et digital
Germano-Béninois installé à Paris, Diyou jongle avec les musiques et rythmiques brassées lors de son enfance en Afrique de l’Ouest — et plus particulièrement au Burkina Faso. « J’ai été bercé par les musiques peules, mandingues ou touarègues, entre autres rythmiques du continent africain et de sa diaspora. Au Burkina, j’écoutais beaucoup les musiques qui accompagnent la Warba — danse traditionnelle mossie — où celles des rites funéraires lobis. J’ai toujours baigné dans les musiques organiques, traditionnelles, percussives. Aussi, quand je suis arrivé en Europe, j’ai été assez frappé par les sons digitaux. Ça avait quelque chose d’aseptisé. Depuis, quand je mixe, j’essaie de créer du lien entre musiques organiques et digitales. Et c’est sans doute pour ça que j’apprécie les musiques afro-caribéennes comme la batida, la soca ou le ragga-jungle », décrit Diyou.
« Je crois que l’électro-club, une musique à laquelle je suis très attachée, est teintée d’une certaine valeur sociale. Elle favorise le rapprochement. »
Nek London, 33 ans
Nek London, fraîchement débarqué de Montpellier, dans le sud de la France, est depuis ses vingt ans habitué à mettre l’ambiance au cours de soirées sur les plages : « À l’époque, j’étais plutôt porté sur les musiques électroniques de type latin house ou french house. Je diggais aussi beaucoup d’électro allemande. Peu à peu, j’ai creusé plus profondément dans la house et dans ce que l’on pourrait considérer comme les prémices de l’afro-house. J’ai aussi commencé à écouter beaucoup de soul et de funk africain-américains. En rencontrant Diyou, je suis progressivement sorti de mon répertoire. Si bien qu’aujourd’hui, j’en arrive à passer de l’électro sud-africaine, du kwaito, de la gqom, de l’amapiano ou de l’afro-deep – des genres très peu connus à l’époque — et de l’afro-trap, de la soca… »
Soccariba, Kidnapping, etc.
Dès lors, les deux se retrouvent sollicités pour animer des soirées étudiantes, des évènements associatifs ou même des galas. « Au cours de ces soirées, on a quand même partagé les platines avec DJ Snake », se souvient Diyou. Les deux se retrouvent dix ans plus tard à l’occasion de l’ouverture du Bocarriba, un bar dans le quartier de Belleville à Paris. Ils y mettent sur pied le concept des soirées Socarriba à raison d’une fois par mois, puis tous les deux week-ends. « C’était un plan de Nek London pour donner un coup de main au gérant qui venait d’ouvrir le lieu. Pour ma part, je rentrais de dix années passées à l’étranger. Aussi, j’ai sauté sur l’occasion. On mixait pour nos bandes d’amis. Le public était assez cosmopolite et nous écoutait autour d’un verre, d’un plat ou en dansant. On passait les sons qu’on aimait », raconte Diyou.
« Je me considère comme une autodidacte. J’aime l’idée de développer mon propre style. Et, par-dessus tout, j’adore arriver à la fin de nos soirées pour finir de fichtre… le dawa. »
Ata, 31 ans
Entre-temps, Diyou fait la connaissance d’Ata, chanteuse, alors qu’elle écume les scènes à Paris. Née d’une mère franco-algérienne, chanteuse et cheffe de chœur, et d’un père martiniquais bassiste de son état, elle a été formée en école de jazz ainsi qu’au chant lyrique en conservatoire. Elle s’avère aussi une véritable beatmaker, remarquée lors d’un set pour les soirées LGBTQI+ dénommées « La Kidnapping » et créées par la DJette Sophie Morello. Ata se découvre alors un réel intérêt pour le deejaying. « Je leur ai dit que je commençais à toucher aux platines et que je me voyais mixer avec eux de temps à autre », avance-t-elle. « Ata a envoûté notre public la toute première fois qu’elle a mixé avec nous et je ne l’oublierai jamais », se remémore Diyou. « Avec Nek London, on est dans le festif, l’entraînant… Ata a apporté quelque chose de carrément différent. Il y avait des sonorités maghrébines, des vocalises, beaucoup de sensations, d’inattendus. Elle chantait pendant son set qui était très progressif. Ils le sont toujours d’ailleurs. Ce qu’elle crée est indescriptible. C’est de l’ordre de la transe, c’est hyper-recherché. Ça tient du clair-obscur. Elle a complété notre palette sonore. » Hard-drum, baile, vogue-beat, house, chant, … C’est autour de ces sphères qu’Ata déploie son jeu. Aussi, elle a vite fait de devenir le troisième membre du collectif qui prend le nom de « Dawa ». « On se disait qu’il était temps de sortir du Bocarriba et de partir à la conquête d’autres espaces. On s’est retrouvé avec pas mal de demandes. On a animé quelques block parties. C’est en se constituant en collectif que nous pouvions répondre à cette demande. Il nous fallait aussi une identité visuelle. »
« 80 % des sons que l’on passe sont inconnus de notre public. Et c’est ce qui nous importe. On veut proposer de véritables croisières sonores, mettre en avant des artistes émergents, des sons qu’un producteur nous envoie sans crier gare. On fait venir des DJs, des musiciens, etc. C’est ça l’identité DAWA. »
Diyou, 34 ans
Initialement, le Collectif DAWA, plus qu’à l’aise avec son public et fort de sa faculté à créer des passerelles entre les musiques diasporiques (sa ligne « éditoriale »), n’a pas tellement l’intention de sortir de l’ombre. Mais la demande se fait de plus en plus insistante. Et avec ça, la folie, l’effervescence, le dawa à chaque soirée. En trois ans, le Collectif DAWA a organisé près d’une trentaine de soirées dans des lieux qu’ils ont à cœur de mettre en lumière : Hasard Ludique, L’International, Quai de Bourbon, Alf, l’Embuscade, Ôh Africa, Halle Papin, etc.
L’ambassade DAWA
Il s’est hissé au rang des crews — qui les inspirent et les nourrissent — comme Electrafrique (Sénégal), La Créole (France), Moonshine (Canada), Jokkoo (Espagne), NOAF (Chili), Batekoo (Brésil), Freak de L’Afrique (Allemagne), etc. Il peut aussi se targuer de participer à des évènements d’envergure internationale et d’avoir concocté des sets pour plusieurs radios — confinement parisien oblige. Les invités sont également nombreux : DJs (B-Brave, Watsmyname, Hey Bony, D.I.B, Gygy, etc.), musiciens (Ashe, Keeni, Mathis OneBlaze, G-Rotimbo, etc.) ou danseurs (Twerk Alert Crew, Babou Flex, Daniel Kolani, etc.). Cette année, la pandémie de coronavirus aura aussi conduit à l’annulation de quelques-uns de leurs projets comme le festival Kilifi au Kenya ou le BPM en France. Toutefois, DAWA aura réussi à participer pour la deuxième fois consécutive au Nyege Nyege ougandais (online cette année). Le collectif a réussi à brasser plusieurs sortes de publics grâce à la diversité de ses tropismes : la batida de Diyou, son penchant pour l’organique et le traditionnel, ont attiré selon lui un public cosmopolite. Les amateurs de musiques électroniques et d’afro-house se retrouveront plutôt chez Nek London, quand Ata en appelle à davantage de mixité et d’inclusivité, notamment, avec une audience queer. Futurs projets : poursuivre les collaborations, échanger avec des collectifs à l’étranger, développer des synergies mais, surtout, ne pas se fondre dans la masse, ne pas devenir mainstream. « On veut continuer d’être une niche sur les circuits globalisés. » Autrement dit, les membres du collectif DAWA entendent conserver leur statut d’ambassadeurs d’espaces diasporiques. Et cela, en toute liberté.