Le virtuose de la kora a invité le rappeur Oxmo Puccino pour un duo inédit. Un single qui annonce Djourou (No Format), le nouvel album de Ballaké Sissoko, dont les solos sont aussi somptueux que les duos.par Vladimir Cagnolari 4 novembre 2020
Ballaké Sissoko est un maître, mais un maître qui ne s’est jamais débarrassé de sa discrétion et de sa modestie. Un vrai maître donc, qui écoute toujours avant de parler, et avant de jouer. Son art de l’écoute et son sens des autres ont façonné sa trajectoire musicale, et déterminé son envol après plusieurs années passées dans l’Ensemble Instrumental du Mali où il remplaça très jeune son père, trop tôt décédé. Que ce soit avec Toumani Diabaté , Ludovico Einaudi, le trio 3MA (aux cotés de Rajery et Driss el Maloumi), et bien sûr en compagnie de Vincent Ségal , la conversation musicale est devenue l’un des exercices préférés du maestro, l’autre étant évidemment le solo. Car c’est là que l’on découvre sans doute le mieux, dans l’intimité du dialogue de l’artiste avec son instrument, la profondeur, la pureté et la liberté de sa musique, qui a le pouvoir de plonger ceux qui l’écoutent dans des méditations salvatrices.
Dans son prochain album, Djourou , Ballaké combine justement ses deux arts majeurs : parler en tête-à -tête avec la kora, et la faire parler avec les autres. De quoi se frotter les mains, et c’est précisément ce qu’a fait Oxmo Puccino en écrivant cette chanson, à une époque où le coronavirus n’avait pas encore (et encore) renvoyé tout le monde à la maison. Lui qui est né à Ségou, et a gardé le lien avec le pays de ses aïeux, n’aurait pour rien au monde raté cette occasion. Il répond aux questions de PAM.
Ballaké Sissoko
Qu’est-ce que Ballaké Sissoko représente pour toi ?
Ballaké Sissoko pour moi c’est comme un oncle, c’est une part d’histoire de la musique malienne, c’est un silence puissant, c’est une musique sacrée. Je ne me souviens pas du moment où je l’ai rencontré, c’est comme si je l’avais toujours connu. Je le vois comme un oncle, mais un oncle que je n’avais pas encore croisé, c’est comme ça que je l’ai vécu. C’était immédiat, spontané. En plus c’est quelqu’un qui prend son temps, alors il peut se passer du temps avant que vous ne commenciez à parler, mais le principal s’est déjà passé. Pour moi, côtoyer Ballaké, c’est un peu rentrer dans l’histoire du Mali, c’est très important.
Et puis il y a sa kora, sur laquelle tu es venu frotter tes mots…
La kora c’est un instrument magique, et pour moi c’est une madeleine de Proust, parce que c’est un des premiers instruments que j’ai entendus, donc c’est une sonorité qui me traverse, elle bouscule des cellules en moi qui sont les mêmes depuis l’enfance. C’est quelque chose auquel personne n’échappe : j’ai eu la chance d’assister à des concerts de Ballaké avec Vincent Ségal notamment, et personne ne s’en remet. Je me rappelle de ce concert aux Bouffes du Nord où on aurait pu voir la musique monter le long des colonnes tellement c’était fantastique ! La kora c’est comme une espèce d’avalanche sonore de notes, qui pour moi sont des notes très anciennes qui font résonner jusqu’aux ancêtres. Comme des clefs, des clefs de la vie avec des réponses à des mystères qu’on n’a pas déchiffrés, mais que nous ressentons.
Ballaké Sissoko
Comment te sont venus le thème et la chanson « Frotter les mains » ?
Je pensais à un morceau fantastique de Bill Withers où il parlait des mains de sa mère, et je trouvais que c’était anodin, mais tellement fort. Et moi je pensais : quand j’étais petit, quand mes frères ou moi on se faisait bobo, mon père arrivait avec une pommade. Il faisait des incantations, et puis il frottait et ça allait mieux (rires). Je me suis dit qu’on ne faisait jamais assez attention à la puissance des mains. Elles peuvent faire des choses incroyables. Nous sommes dans une société où il y a de moins en moins de contact, et hormis la parole et les yeux, le contact le plus puissant qu’on puisse avoir se passe avec les mains. On parle souvent plus avec les mains qu’avec sa bouche, donc je voulais leur rendre hommage.
Et puis, quand je parle de « frotter les mains », avant tout je vois les mains de Ballaké voyager sur sa harpe, et puis je les rattache à la musique que j’entends, mais d’abord c’est un ballet de doigts sur des dizaines de cordes et c’est très beau à voir, même si on n’entend rien, c’est comme s’il tissait la musique.
(On tend à Oxmo du gel hydroalcoolique) En ces temps de COVID, se frotter les mains est devenu notre quotidien, ne manquait à cette action qu’un refrain, qu’une chanson…
(Il rigole) Oui, tout le monde se frotte les mains et évite de frotter celles des autres, donc oui avec la situation forcément, se frotter les mains n’est plus anodin…
(Il chante) Frotter le mains, frotter les mains, peut-être pour éviter le COVID…
Source www.pan-africa-music.com