L’étoile la plus en vue du rap nigérian dévoile son nouvel album, Carpe Diem, le dixième en dix ans. On fait le bilan ? Interview.
Dans cette « nouvelle réalité » que nous vivons, faire une interview consiste à poireauter chez soi, confortablement assis devant son ordinateur, les yeux rivés sur une « salle » Zoom désespérément vide, dans l’espoir de voir apparaître l’artiste sur le petit écran. On ne peut alors s’empêcher d’imaginer ce qu’est en train de faire l’artiste, à des milliers de kilomètres de là . Heureusement pour moi, la « nouvelle réalité » nous offre aussi les Stories Instagram, grâce auxquelles j’ai pu, hier, épier Olamide en train de s’éclater sur un bateau au large de Miami, sabrant le champagne au son de son tout récent single « Ehru », entouré de ses potes et proches.
Après une longue nuit festive, allait-il se réveiller à temps pour l’interview ? Avais-je bien calculé le décalage horaire ? Et a-t-il le lien de la réunion Zoom, au juste ?
Toutes ces questions traversent forcément l’esprit d’un journaliste à l’ère du Covid, sans oublier l’émerveillement quelque peu effrayant devant les nouvelles possibilités de ce nouveau monde. Un univers étonnant dans lequel je peux, moi le journaliste nord-américain enfermé dans son petit appartement parisien, interviewer Olamide le rappeur nigérian posé dans son bateau en Floride, le tout à travers un petit écran composé de millions de pixels.
Olamide s’est finalement pointé à l’heure dite, gros sourire aux lèvres, lunettes de soleil sur le nez et l’air assurément cool.
Salutations et autres politesses évacuées, l’interview pouvait enfin commencer :
On y va ? Je sais que tu es très occupé… « Carpe Diem » est une expression qui va parler à beaucoup de gens. Pourquoi l’avoir choisie pour titre de l’album, et quelle est ta façon de profiter du moment présent ?
Je suis dans un délire « YOLO » (You Only Live Once – on ne vit qu’une fois, NDLR), tu vois ? Je veux juste vivre ma vie, sans limites. Faire tout ce dont j’ai envie, et vivre mes rêves à fond.
Tu es déjà bien avancé !
[Rires]
J’avais surtout envie d’offrir ma musique dans un écrin de joie et de bonheur… d’autant plus avec l’année de dingue qu’on vient de vivre…
Une année folle…
[Rires] Ouais, une année de dingue, vraiment… Pour moi ça a été les montagnes russes depuis trois, quatre – cinq ans disons, depuis que j’ai perdu mon père et ma mère, en 2016 et 2017, respectivement. Alors je vis au jour le jour. Ça m’a vraiment abattu, et ça a plombé ma créativité. Ce n’est que récemment que je me suis recentré sur ma carrière musicale, et je veux le faire à fond, tu comprends ? Donner le meilleur de moi-même.
Toutes mes condoléances…
Merci, mec.
Tu sais, je sens que ton album transmet une énergie légère et joyeuse, ce qui doit faire écho à ta situation personnelle, et t’a sans doute aidé à faire le deuil à travers la créativité. On sent vraiment que tu as changé de style.
Oui, clairement, j’ai changé. Et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à vraiment chanter, parce que j’ai toujours voulu faire les deux choses à la fois, le chant et le rap. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis toujours limité à un seul type de son, bizarrement. Alors que maintenant – je vais te dire un truc – j’en n’ai plus rien à faire, tu vois ? Je veux juste explorer, être plus aventureux avec le son et essayer de nouveaux trucs. Expérimenter, et faire tout ce dont je rêve depuis longtemps !
En fait je n’avais jamais vraiment chanté. C’était plus du rap typique, alors que maintenant j’ai vraiment envie de chanter et je fais tout mon possible pour y parvenir : je prends des cours de chant, j’ai même embauché un coach et tout… Je suis aussi en train d’apprendre la production musicale, et comment créer des beats. Plein de nouveautés ! En vrai, la musique est la seule chose pour laquelle je sais que je suis bon donc je m’y plonge à 100%, et je veux apprendre tous les jours, jusqu’à en connaître les moindres détails.
Tu avais envie de te débarrasser de ta casquette de rappeur ?
En fait, quand j’ai commencé à faire de la musique j’ai d’abord chanté, mais puisque tout le monde me disait que j’avais une voix de merde… [Long rire] Alors je me suis mis au rap. Après la grosse vague de hype, j’ai même chanté sur quelques chansons, mais ce n’était même pas intentionnel… mais bon, c’est sorti comme ça. Aujourd’hui j’ai réellement envie d’être un meilleur chanteur. Parce que j’aime vraiment chanter. [Rire] J’adore ça, et je m’en fous si ça va sonner trop soft pour certaines personnes – ceux qui ont des préjugés sur les rappeurs qui se mettent à chanter… Mais je m’en fous. J’ai envie de kiffer la vie, mec, et faire ce qui me rend heureux.
Et c’est tant mieux ! Comme je te disais, quand on écoute tes anciens projets on sent déjà ton envie de chanter, et d’ailleurs tu te lâches sur certains tracks. Maintenant, évidemment ça n’a plus rien à voir avec les raps agressifs que tu avais l’habitude de faire. J’ai aussi lu que tu décrivais ce nouveau son comme du « galala » et de la « musique céleste »…
Exact ! C’est une sorte de combinaison de dancehall jamaïcain et de galala nigérian.
Tu peux nous éclairer sur le galala nigérian ? C’est une musique que tu avais l’habitude d’écouter ?
Alors le galala nigérian est un son qui date de la fin des années 80, début 90, avec des artistes comme Ajegunle à Lagos… Ici au Nigeria on a eu Daddy Showkey et Baba Fryo, notamment, qui avec d’autres étaient les pionniers de cette musique et l’ont largement popularisée à l’époque. Plus récemment, une poignée d’artistes s’en sont inspiré, et personnellement j’essaie régulièrement d’y replonger pour en faire quelque chose d’encore plus gros qu’à l’époque.
Oui, fonce ! Il y a autre chose de très présent chez toi, c’est ta capacité bluffante à passer d’une langue à une autre : l’anglais, le yoruba, le pidgin, etc. Je me demande ce que ça t’apporte en tant qu’artiste, et notamment en tant que rappeur.
Pour moi, ce n’est même pas une question, c’est naturel. Je vois les choses très simplement : si on a des connaissances sur certains sujets, on a forcément envie de les utiliser. Donc si je comprends et parle toutes ces langues, je me dois de les utiliser. C’est un truc typique chez moi. C’est ma marque de fabrique et c’est donc ma façon de parler.
D’ailleurs quand tu es à Lagos, avant que les gens te parlent en anglais, ils lâchent toujours un ou deux mots en yoruba ou pidgin. C’est comme ça qu’on communique et qu’on cohabite. Personnellement il m’arrive d’utiliser le yoruba mais la plupart de temps c’est essentiellement le pidgin et l’anglais.
En tout cas, ça sonne naturel, c’est clair, et quand ton flow décolle, les frontières linguistiques tombent !
Merci, patron !
Source www.pan-african-music.com