En cinq ans, le jeune phénomène du hip-hop ghanéen a connu une ascension fulgurante. PAM a rencontré Kwesi Arthur, toujours souriant et poli, mais certainement le plus féroce de son pays… quand il s’agit de rapper.
En 2010, dans la ville de Tema, en banlieue d’Accra (Ghana), un de ses amis fait écouter à Emmanuel Kwesi Danso Arthur l’album Thank Me Later de Drake. Encore au lycée, le jeune homme dit à son ami : « yo, chale (mec)… Je pense que je peux faire ça aussi« . Dix ans plus tard, Kwesi Arthur est un véritable phénomène de rap au Ghana et en Afrique de l’Ouest. Quand les jeunes chantent ses tubes en twi et en pidgin comme des hymnes, lui s’envole vers les États-Unis pour un BET Award et collabore avec les cadors ouest-africains de sa génération (Mr Eazi, Santi, Stonebwoy…). Mais n’allons pas plus vite que la musique, et revenons, avant ses débuts dans le game, à ses débuts dans la vie.
Un digne fils de Tema la créative
« Je suis né à Tema et j’y ai passé toute ma vie », sourit fièrement le jeune artiste dès le début de l’interview. Tema et son atmosphère électrique sont clairement au centre de la musique de Kwesi Arthur, qui multiplie les références à son quartier bien-aimé, Community 9. La ville de 300 000 habitants est connue pour son immense complexe portuaire, mais elle est surtout le point de départ de certains des plus grands artistes ghanéens, du « Rap King » Sarkodie au duo de hiplife R2Bees. Kwesi Arthur, en route pour rejoindre ce panthéon, n’oublie pas d’où il vient. Son parcours dans cet ancien village de pêcheurs semble avoir été difficile, mais le rappeur se souvient surtout des petits plaisirs de son enfance : « on jouait tout le temps dans le sable, sur les terrains de football. On cherchait des mangues, on poussait des pneus dans les rues… C’était super cool ». Il avoue pourtant assez vite que cette période a eu son lot de difficultés : « ça aurait pu être mieux. Parfois, on avait du mal à se nourrir, et c’était compliqué de payer les frais de scolarité ».
Mais Kwesi est une personne optimiste et pragmatique qui, tout au long de l’interview, refuse de se présenter comme une victime. Les défis qu’il a dû affronter à Tema sont immédiatement balayés d’un haussement d’épaules : « tout arrive pour une raison », affirme-t-il. « Si je n’avais pas été dans cette situation pendant mon enfance, je ne serais pas là où j’en suis maintenant, je n’aurais pas les pensées que j’ai, je ne serais pas capable d’être qui je suis ». Son père répare les appareils électriques et les postes de radio, si bien qu’au quotidien, la maison est remplie de la musique que joue la radio ghanéenne : Kojo Antwi, Amakye Dede… « et j’avais un oncle dans la maison qui jouait du DMX », rigole-t-il face au contraste musical apparent. « 2Pac et Biggie aussi ! ». Lorsqu’il termine le lycée de Tema, ses résultats sont bloqués à cause de frais de scolarité impayés, ce qui l’empêche de s’inscrire à l’Université du Ghana, à Accra.
Mais une fois de plus, son pragmatisme le fait très vite passer à autre chose : « j’aurais voulu étudier, mais il n’y avait pas d’argent ! Alors j’ai juste utilisé ce que j’avais. Il y avait un studio à la Community 9. Je suis allé voir le propriétaire et je lui ai dit de m’employer pour gérer l’endroit. Il m’a appris à enregistrer des gens, des instrumentaux et d’autres choses ». Une attitude volontaire et entreprenante caractéristique du lifestyle des gens de Tema. « Ce n’est pas facile de trouver un emploi ici », m’explique Kwesi. « Et même si vous en trouvez, ils paient environ 100 dollars par mois, ce qui est très mauvais. La plupart des gens se mettent à leur compte pour gagner de l’argent ».
De la banlieue au monde
En 2015, Kwesi fait la rencontre – décisive pour sa carrière – de Ground Up Chale, un collectif qu’il décrit comme une « plateforme ghanéenne qui aide les personnes talentueuses à être qui elles peuvent être ». Le groupe possède une chaîne Youtube puissante et un studio d’enregistrement. Le rappeur commence rapidement à les fréquenter tandis qu’ils l’aident à « développer son art ». À l’époque, c’est une organisation jeune, dynamique et ambitieuse de Tema, déterminée à se faire entendre, tout comme le jeune Kwesi qui travaille au studio. Ne comptant que sur eux-mêmes, Ground Up et Kwesi bombardent de freestyles les réseaux sociaux, dans un pays où l’un des principaux canaux de popularité est la radio. Une fois de plus, les Tema boys s’illustrent par leur pragmatisme : « on ne connaissait personne à la radio. Les réseaux sociaux c’est l’avenir, tout le monde est dessus. Autant en faire bon usage ! ». En 2017, sur la chaîne Youtube du groupe sort le single « Grind Day » (“jour de labeur), le premier hit de Kwesi. Le titre est un rap puissant et ambitieux, fait pour motiver. « J’ai juste donné tout ce que j’avais », me dit Kwesi avec un grand sourire à propos du titre. Six mois plus tard, « Grind day » obtient son remix avec les poids lourds du rap ghanéen que sont Sarkodie et Medikal.
La période qui suit est à la fois difficile et stimulante. Kwesi ne travaille plus vraiment au studio et ne reçoit qu’un salaire occasionnel quand il enregistre d’autres artistes. Il n’en parle que parce que je lui pose la question : « Ce n’était pas facile du tout. Je voyais mes amis à l’école et les progrès qu’ils faisaient dans leur vie, alors que moi j’étais toujours dans la rue ». Mais encore une fois, « tout arrive pour une raison. Si on veut quelque chose, il faut faire faire des sacrifices ». Ses efforts sont rapidement récompensés : il sort son premier EP Live from Nkrumah Krom en juin 2017, qui impacte considérablement le pays. Le projet franchit même les frontières transcontinentales : en juin 2018, Kwesi Arthur devient le plus jeune artiste ghanéen à être nominé aux BET Awards. Le rap étant aujourd’hui l’un des genres qui tiennent le haut du pavé sur le continent, on peut se demander si être « validé » par un public américain est encore un but pour un rappeur africain à succès. « Si ça vient, c’est bon pour nous. Plus il y a de gens, mieux c’est », explique Kwesi. « C’est le but : faire sortir notre son. Et ils vont tous nous connaître très bientôt ». En fin de compte, qui cherche-t-il réellement à atteindre avec sa musique ? « Oh, le monde entier », répond-il en riant, comme une évidence. « Le monde entier ».
Du poids des mots qu’on emploie
Le deuxième EP de Kwesi Arthur, LFNK Vol. II : Home Run, sorti en 2019, a profondément cimenté sa place dans la sphère publique ghanéenne. Certains titres tendent vers l’afrobeats (« Nobody » avec Mr Eazi), et les chansons du rappeur résonnent partout à Accra. En parlant avec les jeunes Ghanéens, on se rend vite compte de la proximité entre son public et Kwesi, souvent décrit comme le nouveau « roi des jeunes ». « Pour être honnête… je ne sais pas pourquoi ils s’identifient autant à moi », rigole-t-il, pensant sans doute que nous attendions une analyse. « Peut-être qu’ils s’identifient à mon histoire, à mes combats. Beaucoup de gens n’ont pas d’emplois ici, et dans la période où j’ai galéré, je faisais beaucoup de chansons à ce sujet ». Peut-être faut-il aussi attribuer sa popularité à l’authenticité frappante que le rappeur a su conserver. Avec sa nomination aux BET et une exposition internationale croissante, il lui serait facile de rapper en anglais pour gagner un nouveau public. « Mais ce ne serait pas moi », répond-il. « C’est en Twi et en pidgin que je parle au quotidien. Et je sais que si je ne le fais pas pour mon peuple, personne en Amérique ne le fera pour nous ». Il en va de même pour son style : bien qu’il soit l’un des plus grands rappeurs du Ghana, il ne s’affiche jamais avec des vêtements chers ou des chaînes imposantes, et ne se vante jamais de son argent. « C’est ce que je suis. Si je voulais porter des chaînes, je les porterais, mais j’aime être libre ». La dernière fois qu’il a choqué l’opinion, il avait été aperçu sur une moto sans casque. Il sourit timidement en évoquant l’anecdote : « On est encore jeunes, c’est normal de faire des erreurs. Je me retrouve surveillé et on attend de moi que j’agisse d’une certaine manière en oubliant que je suis humain ». Sa vie a changé, même s’il reste un jeune homme de Tema. Mais une fois de plus, aucune once d’apitoiement : « je suppose que c’est aussi pour ça que j’ai signé, alors je ne peux pas me plaindre », dit-il dans un haussement d’épaules « Il n’y a pas grand-chose qui me manque de mon ancienne vie, peut-être juste jouer au football dans le quartier ».
Rester fidèle à Tema n’empêche pas Kwesi d’avoir des ambitions plus grandes. Récemment, il a sorti le titre « Revolution Sound », une critique incisive du milieu politique ghanéen. Ce genre de thème est assez rare dans le rap populaire. « Il fallait que quelqu’un en parle. Les musiciens ont un rôle à jouer dans l’expression du peuple, car tout le monde n’a pas leur talent ». Il poursuit : « Ici, si vous faites des chansons politiques, les gens vont critiquer. Ils penseront que vous le faites pour le parti d’opposition. Mais moi, j’en parle juste pour que le Ghana devienne un meilleur endroit ». Kwesi Arthur serait-il en train de s’approprier les habits d’un leader de la jeunesse ? « Pas vraiment », répond-il, l’air amusé. « Les gens ont tendance à dire ça, mais je ne fais que ma musique. Être un leader c’est tellement de responsabilités… ». Même s’il ne fait « que sa musique », son art a un impact certain sur le public ghanéen des villes, qui finira par décider du statut qu’il veut lui donner. Qu’importe au fond, tant qu’il continue à sortir de la bonne musique. D’ailleurs, après deux EP à succès, Kwesi dit préparer un nouvel album. L’interview se termine. Mais avant de partir, malgré son million de followers et son statut de superstar, Kwesi Arthur m’interpelle : « Hé mec, c’est quoi ton Instagram ? »
Source www.pan-african-music.com